Association Fragments en collaboration avec la HEAD – Genève (Haute École d’art et de design), Filière Architecture d’intérieur
Et si nous laissions aux documents le soin de nous raconter l’Histoire ? Le centenaire du génocide des Arméniens, à Saint-Gervais, se commémore au travers des archives de la presse suisse. Les coupures de journaux exposées, sélectionnées parmi les milliers d’articles rédigés sur le sujet au début du siècle dernier, jettent sur les événements un éclairage de terrain. Précieux !
Reportages, descriptions des massacres, élans de solidarité, instigations de traités diplomatiques : le premier génocide de l’ère moderne a connu dans notre région, peut-être plus qu’ailleurs, des retentissements importants. Scénographiée par des étudiant-e-s de la HEAD, cette exposition vivante se veut un pont entre un passé qui n’est pas encore apaisé et notre présent peuplé d’histoires.
EXPOSITION: Entrée libre
16 SEPTEMBRE – 25 OCTOBRE 2015
Horaires : du mardi au dimanche de 12h à 18h
Salles : Käthe Kollwitz, 1er étage + Robert Filliou, 2ème étage
www.saintgervais.ch
Discours de Madame Sévane Haroutunian
Mesdames et messieurs, chers invités, bonsoir,
L’association Fragments est très heureuse de vous accueillir ce soir et de vous présenter, à l’issue d’un long travail, l’exposition : Fragments. Le génocide des Arméniens et l’œuvre suisse vus par la presse.
C’est sur l’idée et l’initiative de Raffi Garibian que cette exposition est née et sous sa coordination qu’elle a pris forme jour après jour.
Le but de cette exposition, dont le titre est suffisamment explicite, je pense, n’est bien sûr pas de donner une vision exhaustive de l’histoire – exhaustivité par ailleurs impossible avec les sources que nous avons choisies comme base de recherche – mais de présenter une sélection d’articles basée sur deux lignes directrices : les événements ayant lieu dans l’Empire ottoman et la mobilisation se mettant en place en Suisse, d’une part pour montrer comment les événements sur place étaient perçus ici et d’autre part pour rappeler l’œuvre de soutien qu’ils ont suscités au sein de la population suisse.
Cette sélection se veut la plus représentative et fidèle possible de la vision de la presse suisse à ce moment historique, moment qui a créé un passé commun entre Arméniens et Suisses. Cela n’a pas été sans peine de sélectionner, parmi plusieurs milliers, les trente articles élus ; et nous ne pouvons qu’espérer qu’ils susciteront la curiosité chez certains d’aller fouiller par eux-mêmes ces sources qui sont très faciles d’accès depuis leur numérisation et mise en ligne.
En plus de dépoussiérer ces vieux articles, il a fallu également leur redonner vie et c’est grâce à Irma Cilacian, architecte, et son étudiante de la HEAD, Lisa Glatz, que nous avons pu relever ce défi. Le sujet a été proposé lors d’un workshop de la HEAD et il faut souligner que le challenge était grand de mettre en scène non pas des objets d’art, mais des objets de lecture. Au milieu de neufs candidats et projets tous intéressants et personnels, Lisa s’est distinguée : elle a su s’approprier non seulement l’histoire mais l’outil, le journal, et lui redonner corps dans toute sa valeur. Elle a su créer un dialogue entre contenu et contenant, une unité rare entre scénographie et objets exposés.
C’est l’ordre chronologique qui s’est imposé à nous comme parcours, permettant de traiter d’abord trois périodes distinctes : la période hamidienne, la période des Jeunes-Turcs, puis la période kémaliste. Il était bien sûr nécessaire d’aborder ensuite la problématique des traités de paix de la fin de la guerre, expliquant certaines tensions non résolues aujourd’hui encore ; puis finalement, en hommage à la Suisse et pour conclure sur une note un peu plus « heureuse », nous avons mis en avant l’aide suisse à travers le Foyer arménien de Begnins et Genève, Foyer qui a permis de redonner vie à de nombreux enfants, réfugiés, dont l’intégration a par la suite été parfaitement réussie.
Nous avons tenu à compléter cette exposition et les différentes thématiques abordées par un cycle de conférences, discussions et projection, programmé sur toute sa durée, mis en place par le travail considérable et les soins de Meda Khachatourian.
Cette exposition n’aurait pas été possible, bien sûr, sans Saint-Gervais Genève le Théâtre, avec son directeur Philippe Macasdar et toute son équipe, qui nous a gracieusement mis à disposition les lieux.
Nous profitons de cette occasion pour remercier très chaleureusement toutes les personnes qui ont contribué par leur aide précieuse à la réalisation de cette exposition et sans qui nous n’aurions pu donner jour à Fragments.
Pour terminer : ce que nous avons souhaité avant tout, tout au long de la mise en place de cette exposition, c’est proposer un voyage dans le temps, dans un moment d’histoire non pas seulement arménien et suisse, mais mondial et humain, un voyage à travers des articles de presse d’il y a cent ans, à travers des fragments pour permettre à tout un chacun de s’approprier ce moment d’histoire.
En espérant que vous prendrez le temps de vous asseoir et de vous approprier, à votre tour, journaux et histoire, nous vous souhaitons, mesdames et messieurs, une bonne lecture.
Discours de Madame Taline Garibian
Mesdames et messieurs, chers amis,
« Nous redoutons la lassitude, puis le silence. Nous craignons le classement prématuré de la question arménienne dans les archives des États et dans celles de la société des Nations ».
C’est avec ces mots qu’Anthony Krafft-Bonnard essayait en 1930 d’attirer l’attention de ces concitoyens sur le sort réservés aux Arméniennes et aux Arméniens de l’Empire Ottoman pendant la Première Guerre Mondiale dans un texte intitulé Arménie. Justice et réparation. Fer de lance de l’œuvre suisse en faveur des Arméniens, le pasteur Krafft-Bonnard discerne déjà avec perspicacité ce danger, à la fois imminent et indistinct que représente le silence et sa conséquence première : l’oubli.
Il faut dire qu’il avait déjà fait preuve d’une certaine sagacité quelques années plus tôt lorsqu’il écrivait, je cite, l’ « oubli des faits ne peut que fausser les esprits et compromettre définitivement la victoire du droit dans le tragique problème arménien ».
Je pourrais ajouter à ces deux exemple un texte de 1935 appelé Pétrole, Arménie, Orphelins dans lequel, vous l’aurez compris, il dénonce l’industrie pétrolière et l’instabilité qu’elle engendre au Moyen-Orient et ce notamment au détriment du peuple arménien.
Au-delà des capacités quasi prophétiques du pasteur Krafft-Bonnard, je crois qu’il faut souligner la persistance de certains enjeux historiques et politiques. Parce qu’à l’extermination du peuple succède la politique du déni, celle qui, encore un siècle après, d’Istanbul à Genève, en passant parfois par Berne, s’acharne à imposer le silence et à empêcher méthodiquement qu’aucune lumière ne vienne éclairer l’histoire.
Le silence et l’oubli que redoute le pasteur et auxquels on peut rajouter aujourd’hui l’obscurité ne sont pourtant pas une fatalité et la multitude d’événements consacrés au Génocide des Arméniens en cette année de centenaire est là pour le rappeler. Et si la question arménienne peut sembler trop souvent enfouie dans les archives des états et dans celles de la Société des Nations, il ne tient qu’à nous de les en ressortir !
C’est, à mon sens, ce que doit montrer une exposition comme celle que nous vous présentons aujourd’hui.
Alors que la reconnaissance du Génocide des Arméniens rencontre un siècle après les faits une opposition encore vive et offensive et que les témoins de l’époque ne sont plus là pour raconter, les documents restent, parlent et suffisent à rapporter les faits.
Les articles de presses décrivent ce qui fait l’actualité d’une époque. Bien sûr la forme journalistique a bien changé. Le vocabulaire utilisé semble parfois désuet et les images sont extrêmement rares, pour ne pas dire inexistantes. Pourtant, hier comme aujourd’hui des dépêches de l’ATS tombent chaque jour et des comptes rendu précis des événements sur place paraissaient. Ces récits, souvent repris d’un journal à l’autre ont indéniablement, en leur temps, fait une sorte de buzz, si vous me permettez ce petit anachronisme, à l’image de la pétition qui en 1897 a réunit près d’un demi million de signature.
Alors au delà du buzz qui ne dure que le temps d’un instant, nous souhaitons vivement que cette exposition permette de réfléchir à ce génocide bien sûr, à l’exil aussi et, peut être surtout, au vaste élan de solidarité et d’accueil qu’il a déclenché. Parce qu’il s’agit évidemment de l’histoire de ce qui fit, il y a un siècle, l’actualité suisse mais on doit aussi malheureusement penser à l’actualité de cette histoire.
Je vous remercie.
Discours de Madame Hasmik Tolmajian, Ministre plénipotentiaire de l’Ambassade de la République d’Arménie à Genève.
Monsieur le Conseiller,
Monsieur le Directeur,
Chers Amis,
Ce n’est pas une exposition ordinaire qui nous réunit aujourd’hui. C’est l’Histoire des horreurs, c’est l’histoire d’un enfer, l’histoire d’un crime ultime qui se dresse devant nous, vivante, cruelle, qui se raconte à travers ces puissants et précieux témoins centenaires.
Elle démontre le très large retentissement en Suisse des événements qui se sont produits en Turquie lors de la Première Guerre mondiale, des événements qui devraient être qualifié plus tard comme le 1er Génocide du 20ème siècle et servir de base pour l’invention et la définition de ce terme néologique.
Ces fragments de la presse helvétique frappent par leur suivi minutieux de ces horreurs, leurs indications et descriptions précises, leurs reportages riches, leurs chroniques détaillées, la justesse et profondeur de l’analyse, par la parfaite connaissance du terrain, mais aussi des enjeux géopolitiques et des jeux diplomatiques autour de la question arménienne.
Ils décrivent déjà les atrocités turques commises à l’encontre des Arméniens et leur patrimoine culturel et religieux comme un crime contre l’humanité, un crime contre la culture, un crime contre la civilisation. Ils soulignent déjà la nécessité d’une justice devant l’histoire et mettent en garde contre les tentatives de minimiser l’ampleur et la cruauté de ce crime (on ne parle pas encore des tentatives de négationnisme, ce terme n’existant pas encore !).
La Gazette de Lausanne, sous le titre « La destruction d’un peuple », écrivait en 1916 « Cette fois nous approchons de la fin. Il est peu probable qu’on parle à l’avenir des massacres arméniens en Turquie, car tout ce qu’il restait de l’ancien peuple simple, énergique, confiant, tout est détruit… »
Déjà en 1920, avant même la conférence de Lausanne, la Sentinelle titrant son éditorial « Le crime des puissances » s’indignait « parmi tant d’événements révoltants, il y en a aucun de plus répugnant que la manière dont les grandes puissances ont traité l’Arménie depuis qu’elles ont reconnu son indépendance sur le papier. On a créé une petite république arménienne au Caucase, mais on a tout fait pour la laisser écraser… ».
Ces témoins authentiques du passé reflètent aussi le très grand mouvement de solidarité qui a lié le peuple suisse au peuple arménien, à jamais. Une solidarité qui a porté à la fameuse pétition de 1896, dont le nombre de signatures reste à ce jour le record absolu de la démocratie suisse (500'000 signatures pour une population d’environ 3 millions à l’époque). Ce mouvement de solidarité qui englobait la Confédération helvétique tout entière – Genève, Lausanne, Berne, Zurich, Bale, Neuchâtel, le Jura Bernois, la Suisse Orientale, s’est concrétisé avec la création du Foyer arménien de Begnins par le Pasteur Anthony Krafft-Bonnard après le génocide, et qui a formé le premier noyau de la communauté arménienne de Suisse.
Aujourd’hui encore, c’est avec une reconnaissance profonde que nous lisons ces lignes parues dans la presse suisse, il y a plus de cent ans : « Nous nous associons de plus profond de note cœur indigné et révolté au mouvement de protestation provoqué en Suisse pour mettre fin aux atrocités qui ensanglantent l’Empire Ottoman et nous sommes fiers de penser que cette initiative généreuse a pris naissance dans notre pays, grand plus que jamais par le cœur de ceux qui l’habitent.
De nombreux Arméniens rescapés du Génocide ont choisi comme terre d’accueil ce pays grand par le cœur de ceux qui l’habitent. Ils lui ont exprimé leur gratitude en lui apportant, à leur tour, leur cœur, leur dévouement, leur travail acharné. Ils sont devenus acteurs du développement de la Suisse, acteurs de l’amitié entre l’Arménie et la Suisse.
Je voudrais remercier très chaleureusement le Théâtre Saint-Gervais d’avoir accueilli cette exposition, Raffi Garibian, pour cette initiative, l’équipe des jeunes chercheurs, les commissaires – Taline Garibian et Sévane Haroutunian, qui ont fait un travail remarquable symbolisant ainsi la relève par la jeune génération, sans oublier la Haute Ecole de Design, la HEAD avec la filière architecture d’intérieur, en particulier Irma Gandolfi-Cilacian et Lisa Glatz pour la scénographie, Meda Khachatourian et tous ceux qui ont apporté leur contribution à sa réalisation.
Le droit des victimes et de leurs descendants à la mémoire et à la dignité, la lutte contre l’impunité, la condamnation des tentatives de négation et de justification du Génocide sont essentiels pour la justice, mais aussi pour que de tels crimes ne se reproduisent plus jamais et pour rendre possible la réconciliation des peuples.
C’est avec cette conviction que l’Arménie avait pris l’initiative de présenter ici, à Genève, au Conseil des droits de l’homme, le 27 mars dernier, la résolution pour la prévention du Génocide. Elle a été adoptée par consensus, avec le coparrainage de 72 pays. Par cette résolution, le Conseil des droits de l’homme s’adressait aussi à l’Assemblée Générale des Nations Unies en demandant de proclamer le 9 décembre – le jour de l’adoption de la Convention internationale pour la prévention du Génocide – « Journée internationale de commémoration et de dignité des victimes des génocide ». Faisant suite à cette résolution, vendredi dernier, le 11 septembre, l’Assemblée Générale a entériné cette Journée par une résolution, adoptée par consensus.
Il y a cent ans, la Gazette de Lausanne écrivait « C’était une nation qui avait remis la réalisation de ses désirs profonds à un avenir lointaine, au temps heureux où le règne de la justice s’établirait sur la terre. Dans le présent il ne voulait que le droit de vivre… ».
En 1915 ce peuple, mon peuple, a été cruellement privé de son présent, privé de son droit de vivre, mais j’espère et je crois en ces temps heureux où la justice s’établira sur la terre pour permettre la réalisation de ses rêves.
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