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« Hommage à Ragıp Zarakolu : les pionniers de l’éveil turc »

 

Le Samedi 2 mai 2015 Monsieur Remy Pagani, Conseiller administratif de la ville de Genève, a remis la médaille du mérite de la "Fondation Hagop D.TOPALIAN" à Monsieur Ragip Zarakolu, au nom de la communauté arménienne de Suisse, en remerciement de toutes ses actions pour le rétablissement de la vérité et son combat pour les droits humains

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29ème Salon international du livre et de la presse de Genève

Stand arménien pour le centenaire du génocide des Arméniens.

 

« Hommage à Ragıp Zarakolu : les pionniers de l’éveil turc »

 

 

Samedi 2 mai 2015. 17h00-18h00.

 

1.   Introduction: 

Aujourd'hui, nous, sur le stand arménien, (je pense que l'ensemble du salon du livre devrait ressentir la même chose) avons le grand honneur de compter parmi Ragıp Zarakolu, éditeur remarquable, défenseur emblématique de la liberté de publier et candidat au prix Nobel de la paix.

Mais qui est donc Ragıp Zarakolu ? Ragıp Zarakolu est un éditeur turc, un intellectuel, un journaliste, un écrivain et un militant des droits de l’homme qui est né en 1948 sur l'une des îles des Princes au large d’Istanbul dont son père était le gouverneur. A cette époque-là, il y avait encore de nombreuses minorités qui vivaient sur ces îles. Aujourd'hui, il vit en exil en Suède.

Depuis qu’il a créé sa maison d'édition Belge avec sa défunte épouse Ayşe Nur en 1977, Ragıp Zarakolu a été l'objet d’un véritable harcèlement de la part des autorités turques. Pourtant, il a toujours refusé d'abandonner sa campagne pour la liberté de pensée, luttant "pour la généralisation, en Turquie, d’une attitude de respect pour les différentes cultures et pensées".

 

Au fil des ans, les accusations portées par les autorités turques contre Ragıp Zarakolu et son épouse ont conduit à des agressions, à des peines de prison, à des confiscations et à des destructions de livres, et à de lourdes amendes, mettant en danger la survie de la maison d'édition Belge. Tout au long de sa carrière d'éditeur, Ragıp Zarakolu a été mis à l’index par les autorités en raison de ses décennies de lutte pour la liberté d'expression, et en particulier sa promotion des droits des minorités et sa quête de vérité, de justice et de réconciliation. Le travail de Ragıp Zarakolu en tant qu’éditeur et son soutien sans réserve à la liberté de publier l’ont souvent conduit à des situations de conflit avec les autorités et mis en danger sa sécurité personnelle. Malgré la série d'attaques dont il a été la victime, il a constamment continué à aborder les questions litigieuses, encourageant ainsi un débat sain et la démocratisation de la Turquie.

 

Ragıp Zarakolu est un membre fondateur de l'Association turque des droits de l’homme (ADH/IHD). Permettez-moi de dire quelques mots à sujet de la ADH. Qu'elle grande institution! Aujourd'hui en honorant Ragıp, nous honorons également cette grande institution, qui n'a pas hésité (lorsque les autorités turques ont déplacé pour la première fois la commémoration de la bataille des Dardanelles au 24 avril 2014 afin de gêner la commémoration du centenaire du génocide des Arméniens le 24 avril 2015) à publier une déclaration appelant les chefs d'Etat étrangers et de gouvernement à boycotter les commémorations de Gallipoli et à assister aux cérémonies du 24 avril à Erevan à la place. Il y a quelques jours, avec l'UGAB et le groupe local DurDe («dire stop au racisme et au nationalisme»), l’association a organisé des manifestations de commémoration du génocide des Arméniens dans la ville où tout a commencé, Istanbul (à la place Taxim et à Haydarpacha en particulier, la gare à partir de laquelle les 240 intellectuels arméniens arrêtés le 24 avril 1915 ont été déportés).

 

Ragıp Zarakolu a également longtemps été président du Comité liberté de publier de l’Association turque des éditeurs (ATE/TYB). En tant que tel, il a documenté et rendu public, dans un rapport annuel, les nombreuses violations du droit à la liberté de publier en Turquie et était donc à l'avant-garde de la défense de la liberté de publier des autres écrivains et autres éditeurs, y compris celle des petits éditeurs et écrivains kurdes dont la défense intéressait par ailleurs très peu les autres organisations nationales ou internationales de défense de la liberté d’expression. S’il y avait encore eu des maisons d'édition arméniennes en Turquie (aujourd’hui il n’en reste qu’une), il aurait défendu leurs droits avec la même conviction, vous pouvez en être sûr.

 

2. Ragıp Zarakolu, une victime de harcèlement judiciaire :


Sans titre.pngAprès cette longue introduction, je voudrais dire quelques mots sur la façon dont  Ragıp Zarakolu a été la cible constante d’un véritable harcèlement judiciaire pendant de longues années par l’intermédiaire de trois exemples seulement au cours des 15 dernières années. Mais en réalité, il y aurait beaucoup plus d’exemples à donner sur une période beaucoup plus longue. Mais le temps nous manque. Quoi qu’il en soit,  vous serez en mesure de juger par vous-même:

 

Exemple n° 1 : En 2003, pour sa publication du livre « Le régime  du 12 septembre en procès » de G. Caglar, Ragıp Zarakolu a été poursuivi par la cour de sûreté d’Etat d'Istanbul en vertu de l’(ex-) article 312 du Code pénal turc («incitation à la haine sur la base de la classe, de la race ou de la religion »). Il a également été accusé (en vertu de la législation anti-terroriste) de faire de la propagande séparatiste par voie de publication. Que contenait donc ce livre pour être ainsi traité de la sorte comme un terroriste dans une cour de sûreté d’Etat? La somme des violations des droits de l’homme commise par le régime militaire issu du coup d’Etat de 1980. Les droits de l'homme seraient ainsi un sujet aussi dangereux qu’une bombe ! En décembre 2003, cette Cour de sûreté d'État, à la fin d'une procédure qui a duré de longs mois (c’est aussi là que réside le harcèlement judiciaire),  finit par acquitter Ragıp Zarakolu.

Exemple n° 2 : Dès qu'il a été acquitté dans cette affaire, le même jour, la même Cour a décidé d’ouvrir un nouveau procès contre lui pour un article qu'il avait écrit en mars 2003 dans un quotidien kurde et qui était intitulé « Sana Ne? » (« Qu'est-ce que ça peut bien vous faire? »). Cet article portait sur la politique étrangère turque au Kurdistan irakien. Encore une fois cette procédure a duré de longs mois.

Exemple n° 3 : En mars 2011, Ragıp Zarakolu a été condamné par un tribunal d'Istanbul à payer une amende de TL 16,660 (€ 8330) parce qu’il avait publié le livre de Mehmet Güler «Le Dossier LCK/Etat global et les Kurdes sans Etat ». Mehmet Güler a également été condamné à une peine de prison avec sursis de 15 mois. Ragıp Zarakolu et Mehmet Güler étaient accusés, en vertu de l'article 7/2 de la loi anti-terroriste, de "propagande" pour une organisation illégale, le Parti des travailleurs kurdes (PKK). Le livre, qui a été interdit immédiatement après sa sortie lors du salon du livre de Diyarbakir en mai 2010, reste interdit.

Le schéma du harcèlement judiciaire apparaît ainsi clairement. Il y a toujours au moins une enquête ou un procès à l’encontre de Ragıp Zarakolu. La plupart du temps, il y en a plusieurs en même temps. Par ailleurs, les procédures s’éternisent pour le vider psychologiquement et pour le détourner de sa mission d’éditeur engagé. Tout cela pourquoi ? Parce qu’il exerce son droit à la liberté d’expression sur des sujets jugés sensibles par les autorités.

Avant 2003, entre 2003 et 2011, et après 2011, il y eu bien d’autres cas, bien d’autres procès jusqu'au coup final : l'arrestation de Ragıp le 28 octobre 2011 (avec 40 autres personnes) et sa détention dans une prison de haute sécurité pendant près de six mois.

Permettez-moi donc de vous parler de son dernier séjour en prison. Croyez-moi, vous pouvez penser que ce discours commence à être long, mais il commence à peine à rendre hommage à Ragıp Zarakolu et ne reste qu’un aperçu rapide de ses décennies de lutte pour la justice.

3 Son dernier séjour en prison:

Après son arrestation le 28 octobre, il a été jeté en prison le 1er novembre 2011. Près de cinq mois plus tard, le 19 mars 2012, le procureur Istanbul, M. Adnan Çimen, a enfin inculpé Ragıp Zarakolu pour «complicité avec une organisation illégale». Le procureur a requis entre 7,5 et 15 années de prison pour Ragıp Zarakolu. Il a été libéré de prison, en attendant son procès, le 10 avril 2012 à la suite d'une détention de près de 6 mois dans une prison de haute sécurité.

Quels sont les éléments qui ont permis de mettre un terme à cette trop longue et inutile détention ? La campagne internationale pour sa libération, le travail de ses avocats, et le fait qu’au début de 2012, sept parlementaires suédois de divers partis politiques ont nommé  Zarakolu au Prix Nobel de la Paix.

Pourquoi Ragıp a-t-il passé près de 6 mois dans une prison de haute sécurité et pourquoi a-t-il risqué (et risque-t-il encore) d’y passer 15 ans ?

Il a été arrêté, comme je le disais, le 28 octobre 2011 alors qu’il rentrait chez lui. Cette arrestation s’inscrivait dans le cadre d'une répression plus vaste qui avait été initiée en 2009 contre les partis politiques kurdes, conduisant à l'arrestation de milliers de personnes (syndicalistes, étudiants, etc.). Il a été détenu en détention préventive en vertu de la loi anti-terroriste turque (LAT) pour appartenance à une organisation illégale (Koma Ciwaken Kurdistan), la Ligue des Communautés du Kurdistan (LCK). La LCK serait une organisation faîtière, qui comprendrait, par exemple, le PKK.

La demande de remise en liberté de ses avocats, en attente du procès, a été rejetée une première fois en novembre 2011. Le processus menant à la finalisation du dossier d'inculpation a duré près d'un an et demi, ce qui soulève de sérieuses questions quant à la réalité de l’Etat de droit en Turquie. Pendant des mois, l’accès au dossier d'accusation (le fichier LCK), un document de 2400 pages concernant au moins 180 accusés, dont Ragıp Zarakolu, a été refusé à ses avocats.

De notre point de vue, quel était son crime ? Assister à une réunion publique et pacifique du parti pour la paix et la démocratie (BDP) pendant laquelle la discrimination contre la minorité kurde de Turquie était débattue. Le 27 février 2012, les avocats de Ragıp Zarakolu ont déposé une requête à la Cour européenne des droits de l'homme.

Dans sa première lettre envoyée de prison par le biais de son avocat Özcan Kiliç, Ragıp Zarakolu écrivait : «Mon arrestation et l'accusation d'appartenance à une organisation illégale font partie d'une campagne qui vise à intimider tous les intellectuels et les démocrates de Turquie visant à priver les Kurdes de tout soutien ».

Ragıp Zarakolu a par ailleurs déclaré que pendant la descente de police à son domicile, cette dernière n’a confisqué que quelques livres comme «preuve » de tout crime et n’a rien trouvé sur ses prétendues relations avec quelque organisation que ce soit.

 

Les livres confisqués étaient les suivants : Vol. 2 de «Vatansiz Gazeteci» (journaliste sans Etat) de Dogan Özgüden, rédacteur en chef du site web Info-Türk, basé à Bruxelles; «Habiba» de Ender Ondes; «Processus de paix» de Yüksel Genç; et les manuscrits de trois livres sur le génocide des Arméniens.

Ragıp Zarakolu a conclu sa lettre par l'appel suivant: «Lors de mon interrogatoire, ils ne m’ont posé aucune question relative à l'organisation à laquelle on m’accusait d'appartenir. Ils m’ont seulement interrogé sur les livres que j’ai écrits ou édités et sur les réunions publiques auxquelles j’ai participées en tant qu’intervenant ou simple participant. Je pense qu’il est du devoir de tous de réagir contre ces arrestations qui se sont transformées en une campagne de lynchage de masse. Ces pratiques illégales doivent être arrêtés ».

Selon l'Association turque des droits de l’homme, la véritable raison pour laquelle Ragıp a été arrêté à la fin de 2011, c’est parce qu’il avait reçu la médaille Hakop Meghapart en Arménie en 2010 pour sa contribution à la publication de l'histoire, de la culture et de la littérature arméniennes en Turquie.

 

Quelles étaient ses conditions de détention ?

 

Ragıp Zarakolu était détenu dans une prison de haute sécurité de type F à Koaceli, ville située à 80 kilomètres à l'est d'Istanbul. Son fils Deniz l’y a rejoint le 30 décembre 2011. Deniz a passé beaucoup plus de temps que son père en prison et n’a été libéré que le 27 mars 2014, après avoir passé 2 ans et demi en prison (en détention préventive). Pouvez-vous imaginer combien cela a dû être dur pour son père d'avoir son fils en prison pendant encore deux ans après sa propre libération ? Aujourd'hui Deniz poursuit son travail d’éditeur à la maison d'édition Belge. Permettez-moi de saisir cette occasion pour vous dire à quel point cette extraordinaire maison d'édition a besoin de votre soutien pour continuer d’exister. S'il vous plaît ne l'oubliez pas. Pour les soutenir, il suffit d'acheter leurs livres!

Ragıp était détenu dans cette prison de haute sécurité parmi de véritables criminels. Après son arrestation, il a été privé de l'élément vital de toute personne littéraire : les livres. Ou qu’il soit, dans n’importe quelle ville, que ce soit à Oslo ou ici à Genève où hier encore sur ce stand arménien il a acheté entre 10 et 20 livres, Ragıp a un livre à la main. Comme Min Ko Naing a déclaré à sa sortie de prison en 2004, le plus difficile était de «ne pas être en mesure de voir, d'étudier et de lire ». Lorsque Ragıp a été nommé pour le Prix Nobel de la Paix à la fin du mois de janvier 2012, les autorités lui ont donné la permission d’accéder à la bibliothèque de la prison et d'utiliser un ordinateur une fois par semaine. En prison, Ragıp, qui n'est pas kurde, a commencé à y apprendre le kurde (un jour, il pourrait aussi apprendre l’Arménien!). Au fond de sa cellule, il a eu des hauts et des bas. En même temps que cette épreuve se passait, l'imprimeur de la maison d'édition Belge, Sadik Daşdöğen, était également détenu à la prison de Metris à Istanbul. Permettez-moi également d'avoir quelques mots pour Suzan Zengin, la traductrice de Belge décédée en octobre 2011, peu de temps après sa sortie de prison où elle avait passé plus de deux ans.

4.   La maison d'édition Belge :

En honorant Ragıp, nous ne pouvons pas ne pas parler de la maison d'édition Belge, que  Ragıp Zarakolu et sa défunte épouse Ayşe Nur ont fondé en 1977.

Jusqu'au coup d'Etat militaire du 12 Septembre 1980, la maison d'édition Belge publiait surtout des livres académiques et théoriques. Ensuite, Belge a commencé à publier une série de livres écrits par des prisonniers politiques. Cette série de 35 livres comprenait des poèmes, des nouvelles et des romans.

La liste des publications de Belge inclut par ailleurs de nombreux livres traitant de la question des Kurdes en Turquie. Par exemple, «Tunceli Kanunu (1935) ve Dersim Jenosidi» de Ismail Besikci. Elle comprend également plus de 10 livres (traductions) de littérature grecque, quelques livres en lien avec les Juifs en Turquie.

Cette maison d'édition a toujours attaqué de front les principaux tabous de la société turque qui y limitent la liberté d’expression : que ce soit l'armée, le kémalisme, ou la question kurde/le séparatisme kurde.

Aujourd'hui, comme je le disais plus haut, la survie même de la maison d'édition Belge est en jeu, Ragıp étant contraint à l'exil. Son fils Deniz est à la barre, mais la situation reste très difficile et exige une surveillance, une attention de tous les instants même par ceux qui se soucient de cette institution de la liberté de pensée, de cette institution qui s’est toujours battue pour la Justice, pour les opprimés.

La maison d'édition Belge a publié des traductions de la littérature arménienne. Elle a également "attaqué" ce qui est sans doute le plus grand tabou de la République turque: Le génocide des Arméniens.

 

5.Un ardent défenseur de la vérité, de la Justice et de la réconciliation

 

La maison d'édition Belge a effet publié plus de 10 livres sur la question arménienne dans son ensemble et sur le génocide des Arméniens en particulier, tels que «La vérité nous libérera: Turcs et Arméniens réconciliés» de George Jerjian, ou «Un docteur arménien en Turquie: Garabed Hatcherian : Mon épreuve de Smyrne en 1922» de Dora Sakayan.

 

Pour la publication du livre de George Jerjian, Ragıp Zarakolu a été reconnu coupable en 2008, en vertu du tristement célèbre article 301 du Code pénal turc (CPT), d'«insulte envers la République turque». Il a été acquitté de l'autre chef d’inculpation («insulte de la mémoire d'Atatürk» (loi 5816)). Fort heureusement, sa peine de prison de 5 mois a été commuée une amende. Mais le procès dura près de 3 longues années, trainant d’audiences en audiences.

 

Pour le livre de Dora Sakayan, Ragıp dû faire face à une autre épuisant procès d’une durée de 3 ans en vertu du même article 301 CPT.


Sans titrejenosid.pngAu début des années 1990, la maison d'édition Belge a publié «Jenosid», une traduction d’ «Autopsie génocide arménien» de V. Dadrian (Ed. Complexe, Bruxelles). Ce faisant, Belge devenait la première maison d'édition turque à publier un livre sur le génocide des Arméniens. Pouvez-vous imaginer le courage qu'il a fallu avoir pour aller de l'avant avec une telle publication, un tel titre, dans les années où, par exemple, les villages étaient brûlés au Kurdistan?

 

Après la publication de « Jenosid », les bureaux de la maison d’édition Belge furent visés par un attentant à la bombe, forçant la maison d'édition à trouver refuge dans un sous-sol de la vieille ville d’Istanbul où elle se trouve encore aujourd'hui. Regardez bien cette couverture de livre! C’était 20 ans avant le livre «Ermeni Soykirimi» de Hassan Cemal! Ne l'oublions pas !

 

Ce faisant, les Zarakolu furent parmi les premiers intellectuels turcs à reconnaître officiellement le génocide des Arméniens. Car la vérité est une valeur importante aux yeux de cet homme courageux. Lors de son dernier séjour en prison, il a reçu un flot de messages de soutien. Beaucoup d'entre eux soulignaient que la vérité était ce qui comptait le plus pour lui. Par exemple, la branche écossaise de Pen International, l'association internationale des écrivains, a écrit la chose suivant à Ragıp : "Vous avez eu le courage de vous concentrer sur la vérité à un moment où de nombreux éditeurs préfèrent se concentrer uniquement sur l'argent". 

Depuis la publication de «Jenosid», Ragıp Zarakolu a de facto su trouver le courage de s’opposer aux autorités de son pays sur ce sujet ô combien fondamental du génocide des Arméniens. Car Ragıp, en tant que vrai démocrate, sait qu'il ne peut y avoir aucune démocratisation réelle et durable en Turquie sans une reconnaissance complète, par les autorités elles-mêmes, que ce qui est arrivé en 1915 était un génocide. Comme véritable ami des Arméniens, il sait aussi que tant que cette reconnaissance ne se fera pas, le peuple arménien restera toujours en danger et pourrait même, dans le pire des cas, être définitivement effacé de la carte de son berceau historique. 

Il existe de nombreux exemples de Ragıp ayant eu le courage d'affronter son gouvernement sur le génocide des Arméniens. Par exemple, en juin 2009, lors du Forum mondial sur la liberté d'expression (FMLE), qui a eu lieu à Oslo, en Norvège, Ragıp Zarakolu a remplacé à la dernière minute un autre homme courageux, l’historien Taner Akçam, dans un panel sur le droit et la politique de déni. Après son discours, qui a  notamment abordé la question du génocide des Arméniens, le Consul turc d’Oslo a demandé à prendre la parole. Un microphone fut donné au Consul qui pu ainsi vivement critiqué Ragıp, l’accusant de proférer des mensonges. Une éditrice iranienne prenant part au FMLE a alors avoué qu'un tel comportement, de la part du gouvernement turc, la faisait se sentir «en danger». Ce consul était le seul représentant d’un gouvernement à assister aux sessions de ce forum mondial des ONG sur la liberté d'expression! Pourquoi? Pour nier publiquement que jamais il n’y a eu de génocide des Arméniens!

 Un rôle pionnier dans la sensibilisation de la société civile turque.

 

Aujourd'hui, comme nous l'avons vu à Istanbul, à Diyarbakir et dans d'autres villes turques, le 24 avril 2015, la société civile turque indépendante s’est courageusement emparée du tabou du génocide des Arméniens. Nombreux sont ceux qui conviennent que l'horrible événement qui a permis cette prise de conscience, comme dans le cas de Hassan Cemal, le petit-fils du principal organisateur du génocide des Arméniens, fut l'assassinat de Hrant Dink le 19 janvier 2007. Cela est tout à fait vrai. Pourtant, cette prise de conscience avait commencé un peu plus tôt avec, par exemple, la tenue de la première conférence sur le génocide des Arméniens à l'Université Bilgi en 2005, ou encore la même année la publication du «Livre de ma grand-mère » de Fethiye Cetin, un livre dans lequel elle révélait, pour la première fois en Turquie, que sa grand-mère était une Arménienne islamisée de force.

 

Cette prise de conscience a été clairement accélérée par l'assassinat de Hrant Dink (et le slogan «Nous sommes tous Arméniens, nous sommes tous Hrant Dink» scandé lors de ses funérailles publiques le 23 janvier 2007 réunissant plus de 100000 personnes), mais cette prise de conscience n’aurait pas été possible DU TOUT, sans le travail pionnier, courageux et de fond des Zarakolu et de Ragıp Zarakolu.

 

Je n’arrive pas à penser à un homme qui serait plus digne du Prix Nobel de la Paix. En attendant, la communauté arménienne de Suisse est honorée de rendre un hommage solennel à Ragıp Zarakolu pour son engagement constant et authentique en faveur des minorités et son rôle pionnier dans la prise de conscience de la réalité du génocide des Arméniens en Turquie.

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