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  • “Ils se vengent des enfants”

    “Ils se vengent des enfants” – Ayten ZARA

    17 juin 2010

    En Turquie, alors que les autorités gouvernementales s'étaient publiquement engagées à déposer, avant le mois de mai, un projet de loi portant modification des lois anti-terroristes (lois qui autorisent la condamnation des enfants kurdes à de lourdes peines de prison), le gouvernement a annoncé le retrait du projet de loi de l'ordre du jour de l'Assemblée nationale turque en raison d'un "surmenage" parlementaire. Le projet de loi devrait être déposé devant l'Assemblée nationale à la prochaine rentrée parlementaire. L'association Çocuklar İçin Adalet Çağrıcıları, à qui la promesse avait été faite, dénonce la politique gouvernementale et s'apprête à organiser des manifestations dans plus de 30 villes. Exigeant une modification des lois anti-terroristes avant les vacances parlementaires, l'association appelle à la Justice et tente de sensibiliser l'opinion publique au sort des enfants kurdes condamnés pour terrorisme. Membre de l'association Çocuklar İçin Adalet Çağrıcıları et professeur de psychologie à l'Université Bilgi (Istanbul), Ayten ZARA s'est penchée sur la situation dans une interview accordée à Inci HEKİMOĞLU. Interview publiée sur le site Yeni Ozgür politika le 14 juin 2010.

    Qu'expriment les enfants en jetant des pierres?

    C'est une question importante. Je pense que l'Etat doit également réfléchir à la question et la résoudre. Jeter une pierre est un verbe. L'enfant, en jetant une pierre, exprime quelque chose. En tant qu'enfant, il peut vouloir exprimer une émotion, une irritation. Jeter une pierre est une manifestation volubile. L'enfance, l'adolescence se caractérise par la rébellion. L'enfant peut tout faire à cette période. L'enfant peut entreprendre une action pour dénoncer ses mauvaises conditions de vie, sa solitude. Ce ne sont pas des "enfants qui jettent des pierres". Ce sont des enfants qui crient pour qu'on les aide, pour qu'on leur donne un avenir. Ce sont des enfants qui demandent à ce qu'on les comprenne. La pierre n'est qu'un intermédiaire, un objet symbolique par lequel ils peuvent s'exprimer. Mais lorsque l'on observe le système répressif, lorsqu'on regarde en particulier les caractéristiques des peines appliquées, on en déduit que la vengeance est la motivation première des autorités. Ce qu'ils font effectivement, c'est se venger des enfants et de leurs familles. Nous devons penser aux solutions plutôt qu'à la répression. L'enfant est puni comme un adulte. Pourtant, la condamnation n'annihile pas le comportement réprimé.

    Une guerre se mène sur les enfants?

    Oui, la guerre se mène sur les enfants. Les enfants condamnés sont tous kurdes. Mais ce problème ne peut être réduit en parlant d' "enfants qui jettent des pierres". En tant qu'organisation associative (Çocuklar İçin Adalet Çağrıcıları), nous ne traitons pas le problème des Kurdes, Turcs, Juifs, Alevis ou Arméniens. Nous percevons ce problème comme étant celui des enfants victimes de la loi anti – terroriste. Parce que le système législatif qui réprime les enfants est partisan, erroné, problématique. Si vous vous interrogez sur l'incarcération des enfants kurdes, il vous faudra comprendre les raisons socio-politiques et culturelles de leurs actions. Et nous pouvons ici évoquer les mauvaises conditions de vie du groupe dont ils sont membres, de leur désespoir, de leur impuissance. Je pense qu'il s'agit, pour ces enfants, de faire apparaitre les nombreuses difficultés auxquelles leur groupe ethnique est confronté.

    Que peut vivre un enfant qui a été le témoin direct ou indirect du décès d'un enfant de son âge, mort sous l'effet d'une bombe ou à cause des coups de crosse reçus sur la tête?

    Rien qu'en vous entendant énumérer ces cas, mon sang se glace. Si un enfant est témoin d'une violence, s'il est témoin d'une violence exercée en particulier sur un membre de son entourage, s'il est témoin d'une violence vécue par des gens du quartier ou de la société, cet enfant vivrait avec le sentiment d'une insécurité permanente. Et un enfant qui se sent en danger tant sur le plan physique que moral perd toute confiance. La croissance psychologique de l'enfant témoin de tout cela est fortement perturbée. Nous sommes un pays qui faisons subir ça à ses enfants.

    Jeter des pierres est le reflet de cette psychologie?

    D'un point de vue général, bien entendu. Est-il possible que les conditions socio-politiques, socio-culturelles n'influent pas sur les enfants? Les enfants tentent d'expliquer, de montrer quelque chose. La pierre n'est qu'un intermédiaire, un symbole.

    Les gens feraient des pieds et des mains s'il était question de leurs enfants. Pourtant, ils restent indifférents quant à cette situation. N'étions pas censés être un peuple qui aime les enfants?

    Parce que l'Etat en a fait un problème entre Kurdes et Turcs. Dans ce pays, les violences faites aux enfants ont été tellement banalisées que personne ne réagit, qu'ils en viennent même à fermer les yeux.

    Quelle est la situation des enfants relâchés?

    Lorsqu'ils sortent de prison, ces enfants sont confrontés à une situation encore plus dangereuse. Les enfants, tout comme leur famille, ont été isolés. Parce que l'Etat retire l'enfant de sa famille et le place en prison, quand bien même il n'aurait rien fait. Les gens ont peur d'être tués. Et ils percoivent naturellement le drame vécu par les mères et pères de ces enfants. D'après ce que l'on m'a racontée, l'administration scolaire elle-même refuse d'accepter les enfants qui sortent de prison.

    Le gouvernement s'apprête à construire de nouvelles prisons pour enfants. Qu'en pensez- vous?

    S'agit-il d'une ignorance ou d'une stratégie politique particulière, je l'ignore. Quoiqu'il en soit, il faut dénoncer ce projet.

    Comment va la pratique dans les pays européens?

    Lorsque vous étudiez les Droits de l'Homme et les Droits de l'enfant appliqués en Europe, vous vous rendez compte qu'il n'y a pas "d'enfant coupable". Il y a des circonstances qui conduisent l'enfant à commettre une faute. Ces circonstances sont prises en considération et on recherche alors des solutions pour y remédier. La Turquie viole toutes les dispositions relatives aux droits de l'enfants. Il y a un mécanisme de violation des droits de l'enfant, des droits de sa famille, du droit du peuple, de nos droits…

    Le soulèvement des enfants condamnés à la prison de Diyarbakir a eu un large échos… [NDLR: des enfants condamnés à la prison de Diyarbakir avaient entamé une grève de la faim pour dénoncer leur incarcération arbitraire]

    Ce soulèvement vise à dénoncer les conditions de vie de ces enfants. Et si la situation ne s'améliore pas, le soulèvement se fera plus fort encore. L'absence d' initiative et la léthargie des autorités relève d'une véritable psychose. Ils ne font rien pour expliquer le geste de ces enfants qui jettent des pierres, pas plus qu'ils ne réagissent aux soulèvements de ces gosses dans les prisons. Ce qui relève pour moi de la psychose politique. C'est une situation folle. Nous tuons nos enfants. L'Etat est responsable des drames vécus par les enfants, de la violence qui se grave dans leurs têtes et leurs coeurs et dont ils ne pourront se débarrasser. L'Etat entretient cette violence.

    Que signifie la grève de la faim entamée par les familles?

    Les enfants meurent à l'intérieur et leurs familles à l'extérieur. L'Etat a d'ailleurs abattu ses enfants et leurs familles sur le plan psychique. Leur état mental se dégrade de jour en jour. Les familles font ce qu'elles peuvent pour imposer leurs drames à ceux qui refusent de les voir.

    Quel est l'état psychologique des enfants inculpés?

    C'est une situation qui a des conséquences sur le court et long terme, qui menace leur état physique et mental. Ces enfants vivent toute une série de traumatismes. A cause de la violence des forces de l'ordre, les enfants tout comme les citoyens sont en proie à des traumatismes sociaux; les enfants qui participent ou observent une manifestation sont en proie à la violence lorsqu'ils sont arrêtés avec brutalité, lorsqu'ils font l'objet d'attaques physiques et verbales lors des interrogations; ils sont en proie à la violence sentimentale lorsqu'ils sont isolés de leurs familles et de leurs amis et qu'ils sont placés en prison; ils sont jugés comme des adultes alors qu'ils n'ont pas encore achevé leur développement affectif, intellectuel et social. Et ça c'est une négligence et une exploitation affective. Ils sont condamnés à de lourdes peines à la suite d'un délai très long. Ce qui produit une sorte de violence légalisée et mortelle en ce que l'enfant peut être poussé au suicide, faute de goût pour la vie. De ce fait, en plus de la dépression et de l'anxiété, ils ont des difficultés à contrôler leur colère. Ces enfants peuvent se faire du mal, ils peuvent tenter le suicide. Ces enfants peuvent perdre goût à la vie, au point de ressembler à un malade en fin de vie. C'est à dire que nous tuons nos enfants. Je suis étonnée et troublée. Je ne sais pas comment ces enfants font pour résister et tenir face à ces traumatismes lourds. Ces enfants s'accrochent par le jeu de solidarité qu'ils développent entre eux.

    Par qui sont-ils brutalisés  dans la prison?

    Ils sont victimes de toutes sortes de violence. En outre, ils sont privés du soutien maternel, paternel et familial. Dans la majorité des cas, la visite des familles n'est pas autorisée. C'est une pratique purement arbitraire et qui sert de sanction. Comme si l'incarcération physique ne suffisait pas, ils sont punis par d'autres procédés. Ils se font punir par toutes les personnes qu'ils peuvent rencontrer dans la journée: le médecin, le personnel carcéral, le conducteur… etc. Il y a même des médecins, des psychologues qui peuvent exercer une violence sur l'enfant. L'association des Droits de l'Homme (IHD) et l'Ordre des médecins turcs (Türk Tabipler Birliği) sont passés à l'action et ont, par exemple, porté plainte contre un médecin et un psychologue. Pourtant, la première chose qu'on apprend aux professionnels est de ne pas porter préjudice aux malades quelque soit la situation. Vous imaginez… des gens tenus de soigner la blessure physique ou morale des enfants leur font du mal !

    Propos traduit par Berçem Adar pour le site Bersiv.

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  • «La Turquie? Une démocratie de basse intensité»

    Fikret Baskaya: «La Turquie? Une démocratie de basse intensité»


    INTERVIEW• Le fameux dissident turc ne croît pas au plaidoyer démocratique de l’actuel gouvernement islamo conservateur.Fikret Baskaya dénonce au contraire le durcissement de la loi antiterroriste.

     

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    Fikret Baskaya

    PROPOS RECUEILLIS À ISTANBUL

    PAR BENITO PEREZ (Le Courrier Mardi 15 Juin 2010)


    «Vous savez: mon franc-parler ne m’a pas rendu très populaire à gauche.» Fikret Baskaya est trop modeste: la droite non plus ne le porte pas dans son cœur! A 70 ans, cet infatigable défenseur de la liberté d’expression et du respect des minorités s’est fait autant d’ennemis qu’il est apprécié des siens. Affable et cultivé, Fikret Baskaya, politologue et socio-économiste proche de Samir Amin, est un intellectuel de haut vol –francophile et francophone– qui connaît la puissance subversive de la pensée. En 1991, il se fait théoricien de «La Faillite du paradigme1» turc. L’ouvrage connaît un immense succès –plus de cent mille exemplaires vendus, – mais lui vaut l’expulsion de sa chaire universitaire d’Ankara. Et vingt mois d’emprisonnement.

    A sa libération, Fikret Bas- kaya décide de s’émanciper du carcan étatique et fonde l’Ozgur universite, ou Université libre de Turquie, à la fois institut d’enseignement et de recherche, où se côtoient peinture et séminaire sur Michel Foucault, histoire contemporaine et questions d’actualité (lire ci-dessous).

    Parallèlement, Fikret Baskaya lance avec d’autres intellectuels une Initiative pour la liberté d’expression et multiplie publications et chroniques dans la presse. Dans l’une d’elles, publiée après l’arrestation du chef de la guérilla Abdullah Öcalan, il tente de «contrer la vague de racisme antikurde» orchestrée alors par le pouvoir. «Propagande séparatiste», juge une Cour d’Istanbul, qui le condamne en 2001 à seize mois d’incarcération au titre de la loi antiterroriste.

    Pour Fikret Baskaya, encore poursuivi en 2005 pour «insulte envers l’Etat», l’«ouverture» et les «progrès démocratiques» invoqués par l’actuel gouvernement demeurent purement «rhétoriques». «Rien ne changera en Turquie, tant que le pays n’aura pas vécu ses Lumières», résume-t-il simplement.

    En Europe se répand l’idée que la Turquie est sur la voie du progrès en matière de liberté d’expression.

    Qu’en est-il réellement ?

    Fikret Baskaya: On assiste à un double phénomène. D’une part, la répression contre les mouvements de gauche est effectivement un peu moins forte. La gauche est tellement affaiblie que le pouvoir ne la perçoit plus comme une menace.

    D’autre part, la langue kurde s’est ouvert des espaces dont elle ne disposait pas il y a dix ou vingt ans. Aujourd’hui, il est possible de s’affirmer Kurde. Mais ceci n’est nullement l’effet d’une «ouverture» du régime, c’est le produit du renforcement du mouvement kurde! L’Etat a été contraint à un recul stratégique.

    Dans vos livres,vous niez que la Turquie ait atteint la «modernité».

    Qu’est-ce que cela signifie ?

    La conception de l’Etat dans la république est identique à celle qui présidait durant l’empire ottoman. Ici, l’Etat est sacré, il faut donc tout faire pour le protéger.

    Un exemple: on pourrait croire qu’un universitaire qui rédige une analyse sur la question kurde fait le travail pour lequel il est payé. En Turquie, la logique est tout autre; on lui dit: «Comment peux-tu toucher de l’argent de l’Etat et chercher à le détruire! Tu es un traître!» La modernité demeure ici une affaire de rhétorique. Ce pays n’a pas encore vécu ses Lumières.

    Vous qualifiez le système de «démocratie de basse intensité»...

    Oui. L’Etat turc a les attributs d’une démocratie: des élections, un parlement, des lois... Mais du moment que vous êtes radicalement en désaccord avec le régi- me, vos problèmes commencent! Vous devenez un ennemi duquel il faut protéger l’Etat.

    N’y a-t-il pas eu des avancées légales,notamment sous le gouvernement du parti AKP(islamo- conservateur),moins nationaliste que les républicains de gauche ou de droite qui l’ont précédé ?

    Certaines lois ont été modifiées. La législation anticommuniste avait été abrogée, avant même l’arrivée de ce gouvernement. Mais il reste un arsenal largement suffisant pour condamner qui l’on veut. Les lois antiterroristes, avec leurs procédures d’exception, prennent toujours plus d’importance. Voyez le procès qui est fait à mon ami Murad Akincilar (notre édition du 4 juin, ndlr)! Voyez l’interdiction du parti kurde (en décembre 2009, ndlr)! Des centaines de militants de gauche ou kurdes, des journalistes et des écrivains sont actuellement en prison.

    L’actuel gouvernement a, lui aussi, durci cette législation d’exception. Il a fait adopter un amendement qui rend punissable tout texte qui pourrait convenir à une organisation terroriste. Si un procureur estime que vos propos sont favorables aux objectifs de telle ou telle organisation illégale, il peut ouvrir une procédure ! C’est une arme terrible contre la liberté d’expression.

    La politique d’«ouverture» vis-à-vis des Kurdes n’est-elle qu’un leurre à destination des Européens ?

    Non. Son objectif était aussi de marginaliser le PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan,organisation indépendantiste armée, ndlr), de «l’effacer». L’idée étant que si la «terreur», comme ils disent, disparaît, alors le problème kurde disparaît. Mais c’est absurde: la question est posée à l’envers: si le gouvernement voulait vraiment trouver une solution au conflit, il devraitparler avec les principaux responsables du peuple kurde. Or, depuis que [le premier ministre] Recep Tayyip Erdogan a annoncé cette «ouverture» (en été 2009,ndlr), il n’a parlé qu’à des journalistes, à des gouvernements étrangers, à ses alliés, mais jamais aux principaux concernés...

    Le mépris à l’égard des Kurdes demeure entier. Leurs élus au parlement sont traités comme des pestiférés, on ne les salue pas, on ne leur parle pas. Dans le fond, rien ne change. On autorise une télévision en langue kurde à condition qu’elle diffuse la propagande officielle. Par contre, le quotidien kurde Azadiya Welat est régulièrement saisi. Son ex-rédacteur en chef Vedat Kursun a été condamné en mai à cent soixante-six ans et six mois de prison! Nous menons campagne pour le faire libérer.

    Va-t-on dès lors vers une aggravation du conflit ?

    Je le pense. Des deux côtés, les opérations militaires s’intensifient. L’été va être chaud. Le gouvernement a reçu Massoud Barzani (le leader des Kurdes d’Irak, ndlr) pour obtenir le droit d’attaquer les bases arrière du PKK.

    En face, la mobilisation autour du PKK est très forte, alimentée par la répression policière qui touche notamment es enfants jeteurs de pierres2. La frustration est grande. Beaucoup de Kurdes espéraient que les choses bougent après l’annonce d’Erdogan... Tout est réuni pour que cela dégénère.I

    1

    Nom de son ouvrage magistral Paradigmanin iflasi.

    2 Le Courrierdu 24 février 2010.

    Fikret Baskaya,au siège de son Université libre: ses nombreux écrits lui ont valu prison et expulsion de l’académie publique.BPZ

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    «La gauche doit changer de paradigme»

    Le procès intenté au syndicaliste de Genève Murad Akincilar1montre que la gauche n’est pas épargnée par la répression.

    La police n’a pas beaucoup de mal à la contenir. De temps à autre, une opération est lancée, qui répond à un besoin conjoncturel. Dans le cas de Murad Akincilar, on voulait faire croire, lors des arrestations (en septembre 2009,ndlr), à l’existence d’une grande organisation terroriste – Commandement révolutionnaire (CR)– possédant des ramifications dans divers mi- lieux. Pour cela, il fallait faire du chiffre, la police a donc arrêté à tort et à travers et la presse a fait de grands titres. Tel était le but de cette manipulation. Personnellement, je ne suis même pas sûr que CR existe. Et si c’est le cas, c’est un groupuscule! Rien de proportionné à ce battage.

    Comment expliquer la volte-face du tribunal,qui a libéré Murad Akincilar ?

    Les juges ont compris qu’il n’y avait plus rien à tirer de cette affaire. On voulait effrayer la population en décrivant une organisation terroriste très solide, mais l’acte d’accusation ne faisait pas illusion.

     

    La presse s’est d’ailleurs désintéressée du cas. Le compte-rendu de l’audience aurait été bien différent du battage orchestré l’an dernier!

    Hors la répression,comment expliquez-vous l’extrême faiblesse de la gauche turque ?

    La situation de la gauche tient à son incapacité à se renouveler, à trouver un nouveau paradigme: c’est le thème du livre que je suis en train de terminer. D’une part, nous avons une gauche sociale-libérale (le Parti républicain du peuple, CHP, ndlr) qui a renoncé; de l’autre, des organisations staliniennes qui ne peuvent évidemment pas construire une société démocratique. Ces deux gauches vivent toujours dans une logique du XXesiècle. Elles demeurent imprégnées de «kemalisme» (doctrine du nationalisme laïc incarné par le père de la nation turque, Mustafa Kemal, ndlr). Or, ce mo- dèle n’a rien de progressiste, c’est une autocratie bourgeoise. Cette gauche garde parfois une rhétorique anti-impérialiste mais jamais anticapitaliste. Pourtant, on sait bien que le capital n’a pas de patrie! Accepter des privatisations à condition que les investisseurs soient turcs: dans le capitalisme mondialisé, cela n’a aucun sens. Quant aux syndicats, ils sont inexistants. Dans la région, la Turquie est le premier pays à avoir expérimenté le néolibéralisme avec le coup d’Etat de 1980. Le peuple a beaucoup souffert. Mais je n’exclus pas l’éclosion de nouveaux mouvements sociaux, car la situation sociale est terriblement mauvaise.

    Il existe une tentative d’unifier les partis situés à la gauche du CHP. Qu’en pensez-vous?

    Vous pouvez rassembler cinq assiettes vides, vous n’aurez toujours rien à manger! J’insiste: l’heure est à l’invention d’un nouveau paradigme. Aquoi peut-il ressembler,selon vous? Il devra être démocratique, respectueux de la nature et anticapitaliste.

    Il faut prendre conscience des limites du monde, ce que le capitalisme, qui entre en crise dès qu’il ne peut produire davantage, ne permet pas. Nous devons revoir nos façons de produire, de consommer et de concevoir la vie. Quand vous changez de projet de société, vous devez changer de véhicule, de direction et de conducteur. Aujourd’hui la gauche se contente de dire: «Si nous étions au volant, tout irait mieux.»

    C’est évidemment insuffisant!

    PROPOS RECUEILLIS PAR BPZ

    1 Lire Le Courrierdu 4 juin 2010.

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    «LA VRAIE UNIVERSITÉ»

     

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    «C’est la vraie universitécar indépendante de l’Etat et du capital.» Quinze ans après sa fondation,l’Ozgur universitefait toujours la fierté de Fikret Baskaya.Même si ses actuels quatre cents élèves répartis entre Ankara et Istanbul font pâle figure par rapport aux milliers du passé –«reflet de la dépolitisation de la société»– l’institution demeure une référence en Turquie.En sus des dizaines de cours réguliers dispensés par des professeurs bénévoles,revues,séminaires,conférences,un blog et quelque quatre-vingts livres en quinze ans alimentent le débat bien au-delà des frontières de la gauche radicale. Naguère formatrice de cadresdu mouvement social,l’Ozgur universites’est recentrée sur un public étudiant moins frileux idéologiquement.Mais sans céder à la logique pédagogique dominante.«Nous refusons de décerner des diplômes ou de faire des examens: les étudiants viennent volontairement, il n’y a pas de raison qu’ils ne travaillent pas», raisonne M.Baskaya.Ce qui ne l’empêche pas d’être attentif au suivi des élèves: «Nous faisons en sorte que tout le monde puisse s’informer sur des domaines souvent inaccessibles au plus grand nombre,comme l’écologique politique,la philosophie oul’histoire.» www.ozguruniversite.org

    BPZ 

     

    Source :PAR BENITO PEREZ (Le Courrier Mardi 15 juin 2010 page 11)

    www.lecourrier.ch

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