Une véritable démocratisation doit se réaliser par une suppression totale de la Constitution de 1982 et non par quelques changements cosmétiques
Le 12 septembre 2010 marque le 30èmeanniversaire noir du coup d'Etat militaire de 1980, deuxième phase d’un processus de militarisation dans tous les domaines du pays. Il s'agit également de la date d'un référendum controversé portant sur la révision partielle de la Constitution imposée par la junte il y a 28 ans.
Avec une campagne qui traîne depuis des mois, ce référendum a entièrement polarisé la vie politique de la Turquie. Deux principaux partis nationalistes, le CHP et le MHP, font campagne contre les amendements. L'AKP et les autres partis et groupes de tendance islamiste les soutiennent. Les partis ou groupes de gauche sont divisés, les uns estimant qu'il vaut mieux des progrès minimes que rien du tout, tandis que les autres pensent qu'une réforme constitutionnelle aussi timide pourrait empêcher une véritable réforme. En réaction au refus de l'AKP de baisser le seuil national du scrutin, le parti pro-kurde BDP appelle au boycott du référendum.
Comme souligné dans les médias, la campagne de trois partis, AKP, CHP et MHP, s’enlise dans des querelles de personne et des propos manichéens, qui sont loin d’éclairer le citoyen sur les enjeux réels du scrutin.
Une chose est évidente: Quelle que soit l'issue de ce référendum, cette constitution militariste reste toujours en vigueur avec ses articles fascistes et racistes imposant la supériorité de la race turque et niant les droits fondamentaux du peuple kurde et des autres minorités nationales et religieuses.
C'est la raison pour laquelle, la Fondation Info-Türk tient à publier en français Le Livre Noir de la "démocratie" militariste en Turquie <http://www.info-turk.be/livrenoir.htm> , publié déjà en anglais il y a plus de 20 ans pour dire qu'une véritable démocratisation doit se réaliser par une suppression totale de la Constitution de 1982 et non par quelques changements cosmétiques.
Auparavant, le coup d'Etat du 12 mars 1971 avait déjà aboli ou détruit plusieurs droits et institutions démocratiques par l'application d'une répression sans précédent. Le coup d'Etat de 1980 a complété la militarisation en imposant au pays une constitution raciste et despotique après une répression encore plus sauvage.
La constitution de 1982 nie les droits fondamentaux du peuple kurde et des minorités arménienne, assyrienne et grecque de Turquie. Les articles 3, 42 et 66 prônent la supériorité et le monopole de la race et de la langue turques. L'article 4 déclare que l'article 3 ne pourra jamais être modifié et que même sa modification ne pourra jamais être proposée.
Depuis 30 ans, malgré les manifestations des forces démocratiques, les pouvoirs politiques ont toujours passé sous silence la demande de traduire devant la justice les auteurs de ce putsch criminel. Les gouvernements successifs gèrent le pays en se soumettant toujours aux menaces et chantages de la hiérarchie militaire.
Rappelons qu'en plus des coups d'Etat de 1971 et 1980, l'armée turque a effectué depuis treize ans deux autres interventions directes dans la politique, le 28 février 1997 et le 27 avril 2007. Par ailleurs, comme il est constaté à la lecture de l'acte d'accusation du procès d'Ergenekon, les officiers auraient préparé trois plans d'intervention en 2003 et 2004.
Alors que ces derniers sont actuellement jugés simplement pour tentative de coup d'Etat, les militaires qui ont réalisé les coups d'Etat de 1971 et 1980 ainsi que les interventions directes de 1997 et 2007 restent toujours immunisés contre toute poursuite judiciaire.
Bien que le changement constitutionnel lève l'article interdisant l'inculpation des auteurs du coup d'Etat de 1980, ils bénéficieront cette fois-ci du droit à la prescription selon une autre loi.
C'est la raison pour laquelle, à l'occasion du 30e anniversaire du coup d'Etat militaire de 1980, plusieurs manifestations sont organisées dans les grandes villes de Turquie.
Les organisations démocratiques réclament que les putschistes de 1980 soient jugés pour les crimes suivants commis après le coup d'Etat:
- Plus de 650.000 personnes ont été arrêtées.
- Des dizaines de milliers de personnes ont subi la torture et de mauvais traitements.
- Des fichiers ont été ouverts sur 1.683.000 personnes.
- 210.000 procès politiques ont été ouverts devant les cours militaires.
- 98.404 personnes ont été jugées en raison de leurs opinions.
- 71.500 personnes ont été jugées sous les articles 141, 142 et 163 de l'ancien code pénal
- 6.353 personnes ont été jugées sous menace de la peine capitale.
- 517 personnes ont été condamnées à la peine capitale. 50 personnes (18 de gauche, 8 de droite, 1 militant d'Asala et 23 de droit commun) ont été exécutées.
- 21.764 personnes ont été condamnées à de lourdes peines de prison.
- 171 personnes ont perdu la vie sous la torture.
- 299 personnes ont perdu la vie en prison en raison de mauvais traitements ou lors d’une grève de la faim.
- 348.000 personnes se sont vues refuser l'obtention de passeports.
- 30.000 personnes ont demandé l'asile politique à l'étranger.
- 14.000 personnes ont été déchues de leur citoyenneté.
- Les universités ont été placées sous l'autorité du Conseil Suprême de l'Education (YOK), dépendant du pouvoir politique.
- Plus de 4.000 enseignants et professeurs d'université ont été chassés de leurs postes.
- Tous les partis politiques ont été dissous.
- Les activités de 23.667 associations ont été arrêtées.
- La presse a été soumise à la censure.
- 4.509 personnes ont été déportées par les commandants de la loi martiale.
- 937 films ont été interdits.
- 2.792 auteurs, traducteurs et journalistes ont été traduits devant les tribunaux.
- Le total des peines de prison prononcées contre des journalistes et écrivains s'élevait à 3.315 ans et 3 mois.
- 31 journalistes ont été emprisonnés, des centaines de journalistes attaqués et trois abattus.
- 113.607 livres ont été brûlés.
- 39 tonnes de livres, de revues et de journaux ont été détruites par des usines de papier de l'Etat.
La dernière initiative timide lancée en 2009 par le gouvernement sous l'appellation "ouverture démocratique" était tout à fait ridicule, car elle ne prévoit rien pour une véritable démocratisation digne des normes européennes par la modification radicale de la constitution de 1982.
Comme annoncé depuis des décennies par des organisations démocratiques, une des premières choses à faire dans le processus de démilitarisation est de soumettre le chef d'Etat-major à l'autorité du ministre de la défense nationale, de raboter les pouvoirs excessifs du Conseil de Sûreté Nationale (MGK) et du Conseil Militaire Supérieur (YAS).
Les mesures suivantes doivent être prises pour éradiquer tous les vestiges de la dictature fascisante de l'Armée:
- Inculpation des responsables des coups d'Etat pour crimes contre l'humanité.
- Interdiction de l'ingérence des commandants actuels dans la vie politique, sociale et culturelle du pays.
- Eloignement immédiate de leurs postes des commandants qui poursuivent leurs menaces et provocations.
- Entière modification de la constitution actuelle imposée par les militaires; suppression des articles 3, 4, 42 et 66 prônant la supériorité et le monopole de la race et de la langue turques.
- Diminution du budget des dépenses militaires utilisé pour opprimer le peuple kurde et menacer les pays avoisinants.
- Modification radicale du système électoral imposant un seuil national de 10% au détriment des partis politiques représentant des opinions différentes, notamment pro kurde ou de gauche.
- Une amnistie générale doit être déclarée pour tous les prisonniers ou inculpés politiques.
- Suppression de tous les articles anti-démocratiques du code pénal turc et de la loi anti-terreur et d'autres lois répressives.
- Arrêt des poursuites judiciaires contre des journalistes, écrivains, artistes, enseignants.
- Reconnaissance sans exception et sans restriction des droits fondamentaux du peuple kurde et des minorités assyrienne, arménienne et grecque.
- Reconnaissance du génocide commis au début du siècle contre les Arméniens et les Assyriens.
- Arrêt de toute ingérence d'Ankara dans la vie politique et sociale des pays accueillant des ressortissants de Turquie.
Ceci est également un rappel aux dirigeants de l'Union européenne et des pays membres qui flirtent toujours avec le pouvoir politique en Turquie. Pour des intérêts stratégiques, économiques et commerciaux, ils n'hésitent pas à promouvoir les serviteurs du lobby turc dans les partis politiques et dans les organes législatifs et exécutifs au détriment des valeurs démocratiques acquises grâce aux luttes historiques des peuples européens.
Source :http://www.info-turk.be/385.htm#dimanche
Maison Populaire de Genève
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