Des avions turcs ont bombardé des positions militaires du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) dans l'Irak voisin vendredi soir, a annoncé un porte-parole du PKK.
"A environ 23H00 (20H00 GMT) ce soir (vendredi), des avions militaires turcs ont commencé à bombarder nos positions près de la frontière, avec l'accompagnement d'importants tirs d'artillerie", a déclaré à l'AFP ce porte-parole, Bakhtiar Dogan.
Les frappes ont visé les positions du PKK dans les montagnes du nord de la province de Dohuk, située dans la région autonome du Kurdistan en Irak, a ajouté ce porte-parole.
Le PKK, interdit en Turquie, dispose de plusieurs camps d'entraînement dans la province de Dohuk, qui est aussi frontalière des régions kurdes de Syrie.
Le porte-parole du PKK a ajouté que les avions turcs avaient survolé sans frapper les montagnes de Qandil, une zone au nord de la capitale du Kurdistan irakien Erbil, utilisée comme refuge par la direction politique du PKK.
Si elles se confirment, les frappes turques en Irak contre le PKK interviendraient le même jour que les premières opérations turques contre le groupe Etat islamique en Syrie.
Quatre jours après l'attentat suicide meurtrier attribué à l'EI qui a visé la ville frontalière de Suruç (sud), des avions de combat F16 de l'armée de l'air turque ont bombardé au petit matin et en fin de soirée des cibles de l'organisation jihadiste en territoire syrien.
Ces premiers raids aériens de la Turquie marquent un tournant dans la politique syrienne du régime islamo-conservateur turc, longtemps accusé par ses alliés de fermer les yeux, voire de soutenir les organisations radicales en guerre contre le régime de Damas. (AFP, 25 juillet 2015)
Frappes aériennes: un tournant risqué dans la politique d'Ankara
La décision de frapper militairement le groupe Etat islamique en Syrie constitue un tournant dans la politique jusqu'à présent très ambivalente d'Ankara, mais la Turquie court aussi le risque de représailles, et de voir les Kurdes tirer profit de cette nouvelle donne, estiment des experts.
L'aviation turque a lancé vendredi son premier raid aérien contre des positions djihadistes en territoire syrien, rompant avec une retenue qui alimentait les suspicions sur l'attitude d'Ankara. Selon l'Observatoire syrien des droits de l'Homme (OSDH), les frappes turques ont tué 9 combattants jihadistes.
"Le signal est politique tout autant que stratégique", estime Michael Stephens, de l'antenne au Qatar du Royal United Services Institute (RUSI), un centre de réflexion britannique.
En restant l'arme au pied face à la progression de l'EI, "les Turcs étaient arrivés à un point où leur réputation était quelque peu entachée. L'Etat islamique est devenu trop important pour que la Turquie puisse continuer de faire mine de l'ignorer", ajoute-t-il.
Pour Didier Billion, de l'Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS) à Paris, cette intervention "signifie que la Turquie entre réellement dans la coalition" internationale menée par les Etats-Unis pour lutter contre l'EI en Irak et en Syrie, dont Ankara était jusqu'à présent un partenaire discret.
Les bombardements turcs "ne sont pas un simple avertissement" mais constituent "une nouvelle séquence politique", assure-t-il.
Le Premier ministre turc Ahmet Davutoglu a assuré vendredi que "les opérations commencées aujourd'hui" contre l'EI mais aussi les rebelles kurdes du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), bête noire d'Ankara, "ne sont pas ponctuelles, elles vont se poursuivre".
Certains analystes voient aussi un repositionnement d'Ankara dans le "grand jeu" qui se déroule entre puissances de la région à la faveur du conflit syrien.
"La Turquie donnait jusqu'à présent la priorité à la lutte contre les forces du président Assad plutôt que l'Etat islamique. Les développements des derniers jours suggèrent que cela change", affirme Ege Seckin, spécialiste de la Turquie basé à Londres, dans une analyse diffusée par l'institut d'études géopolitiques IHS.
Pour ce chercheur, il est "aussi probable que la Turquie cherche à s'assurer une position en Syrie" face à la montée en puissance de Téhéran, soutien avéré du régime de Damas, qui se profile après le récent accord sur le nucléaire iranien.
- Moins de tension avec Washington -
La décision d'Ankara de permettre à l'aviation américaine d'utiliser la grande base d'Incirlik, dans le sud du pays, pour agir en Syrie va offrir à Washington un tremplin idéal pour frapper l'EI. Et lever un point de tension entre Ankara et Washington, qui réclamait cette mesure avec insistance.
"Il y a beaucoup d'autres bases dans la région d'où les Etats-unis peuvent opérer, mais être à une centaine de kilomètres à peine de la zone de contact offre au énorme avantage en terme de logistique et de frappes au sol", souligne Michael Stephens.
Il faut s'attendre à voir arriver sur la base "toute une panoplie" de moyens aériens, "des avions d'attaque au sol et des drones", ajoute-t-il.
Le risque de voir les Kurdes de Syrie -et par extension ceux de Turquie- tirer profit de cette nouvelle donne vient toutefois compliquer l'équation pour la Turquie. Ankara a d'ailleurs pris soin de conjuger son coup de filet vendredi contre des militants présumés de l'EI présents sur son sol par des opérations visant des rebelles du PKK.
"La Turquie cherche aussi à prévenir les aspirations autonomistes kurdes, et à assurer sa domination sur les groupes armés d'opposition en Syrie", souligne Ege Seckin.
Dans ce cadre, les frappes turques pourraient présager "une entente avec les Américains" pour "l'établissement d'une zone-tampon" en Syrie, près de la frontière turque, permettant de contrer les djihadistes comme leurs adversaires kurdes.
Pour Aaron Stein, collaborateur du Atlantic Council Rafic Hariri Center, implanté aux Etats-Unis, Ankara "veut que les opérations aériennes frappent l'EI dans la région, mais sans devenir un soutien aérien au PKK".
Le renforcement annoncé de la sécurité à la frontière turco-syrienne répond aussi au risque de voir cet engagement militaire en Syrie se traduire en représailles avec un regain d'attentats sur le territoire turc.
Pour Michael Stephen, "les Turcs sont sur une corde raide, parce que s'ils commencent à attaquer l'EI à la racine et dans ses ramifications, ils vont se venger. Ils en sont conscients". Des avions turcs bombardent les Kurdes en Irak. (AFP, 25 juillet 2015)
http://www.info-turk.be/443.htm#avions