L’AUTRE, EN CET INSTANT
Où commence la barbarie ?
Elle commence quand je dis : « Je suis ici chez moi ».
Des mots anodins, patelins, qui déclencheront un mécanisme infernal : Si je suis ici chez moi, c’est donc que l’autre n’est pas chez lui. Disons : pas tout-à-fait. Pas de la même manière.
Mon « chez moi » méritera d’être défendu. Son intégrité sera un absolu.
J’éliminerai l’intrus pour notre bien. Je l’expulserai parce que tel sera mon devoir. La preuve est dans les Textes. En chassant l’étranger, je ne ferai que leur obéir, l’âme en paix.
Et pourtant…
L’important, disait Nietzsche, n’est pas d’aimer son prochain. C’est là quelque chose de facile et de naturel, qui ne mérite aucun compliment. L’important est d’aimer son lointain, de s’engager pour lui où qu’il se trouve, en fraternité, si ainsi nous dicte de le faire notre éthique et notre cœur.
On peut continuer de vivre heureux à Genève, Paris ou New-York en pensant à autre chose qu’à ce qui se passe au Proche-Orient, en Chine, en Amérique latine et partout ailleurs où l’on touche aux droits d’autrui, à son respect et à sa dignité. L’important n’est donc pas de s’insurger pour défendre son pré-carré mais celui de l’autre. Pas même celui du voisin mais celui du lointain. De celui qui nous est vraiment étranger.
A propos d’étranger… Hugues de Saint Victor, un moine saxon du XIIème siècle, a eu ce mot, repris par Erich Auerbach dans Mimésis, puis par Edward Saïd dans Exil. Ils ont tous deux adhéré à la pensée du moine, Auerbach le Juif et Saïd l’Arabe. Le moine dit ceci :
Si un homme, dans son pays, se sent à l’aise, cet homme est un naïf. Si un homme, dans son pays et partout ailleurs, se sent à l’aise, cet homme est fort. Mais si un homme, dans son pays et partout ailleurs, se sent étranger, cet homme est parfait.
Comment devenir cet homme ?
Il faudrait que l’étranger ne me soit plus étranger.
Je n’ai pour cela que les arts. C’est-à-dire la spiritualité.
Le théâtre, le cinéma, la peinture, le ballet. Et la lecture. Les arts, qui m’aident à m’approcher de l’autre, et donc de moi, en rendant ce cheminement moins douloureux. En me permettant de dire : Ce personnage, sur l’écran, sur scène, dans le livre, cet être humain si faillible dans lequel je me reconnais, ce n’est pas moi. Et voilà que je peux m’en approcher sans trop de casse. Etrange paradoxe. Jeanne Hersch me disait sans cesse : si vous vous occupez de condition humaine et que vous butez sur un paradoxe, c’est que vous êtes sur la bonne voie. Nous y sommes en plein.
Il y a la lecture. Et puis il y a l’écriture, bien sûr, l’écriture qui me force à la pointe de l’épée, à me mettre à la place de l’autre, car sinon il n’y a pas de roman. Qui me force à penser avec lui. A vivre sa vie. A l’écouter. Surtout à l’écouter. A ne pas le juger. A le comprendre, lui et sa misère qui me rappelle tant la mienne.
Comment comprendre l’autre ? Comment s’en approcher ?
En s’en éloignant, juste ce qu’il faut. Etrange paradoxe, à nouveau. On le voit, impossible de parler d’art sans parler de spiritualité.
Dans son roman Les Frères Karamazov, Dostoïevsky a inséré un récit très court, une soixantaine de pages détachées du reste, sorte d’histoire dans l’histoire, intitulée Le Grand inquisiteur. Il y raconte le retour du Christ sur terre, à la fin du XVème siècle dans une Séville à feu et à sang, prise par les vertiges de l’inquisition. Très vite, le Christ y accomplit des miracles. A peine reconnu, on le jette en prison. Le Grand inquisiteur vient le voir, et dans une scène hallucinante de beauté tragique, lui fait un réquisitoire d’une violence inouïe. Comment a-t-il pu refuser les propositions du malin lorsqu’il était seul avec lui dans le désert ? Il aurait eu les hommes à ses pieds ! Et les hommes n’auraient demandé que cela ! Ils n’en veulent pas, de leur libre arbitre, dit le Grand inquisiteur. Le Christ aimait les hommes et mettait en eux sa confiance, quelle erreur ! Et le grand inquisiteur a pour lui ces mots terribles, parlant des hommes :
En les estimant moins, tu aurais rendu leur fardeau plus léger.
Peut-être. Mais tel ne fut pas le choix du Christ. Il avait décidé d’aimer les hommes. Il avait décidé, aussi, comme les Evangiles le démontrent à chaque mot, de le faire en toute lucidité. De confier à Pierre, qui allait le trahir, la charge de construire sa maison. Il aimait Pierre, et son amour était d’une lucidité aveuglante.
Il savait aimer.
Oui, aimer est une chose, savoir aimer en est une autre. Il ne suffit pas de dire à un être cher : Je t’aime, je t’aime, en poussant des soupirs, pour être assuré de tout faire juste.
Un mot nous est souvent servi, dans le propos de nous donner bonne conscience. Il est de St Augustin. « Ama et quod vis fac. Aime et fais ce qu’il te plaît ». En d’autres termes, dès lors que tu aimes, tu as ta boussole. Tu feras juste.
Cette citation est fréquente, mais elle est inexacte. Il s’agit d’une re-traduction du français au latin, la langue dans laquelle St Augustin a écrit. Car l’un des mots n’est pas le sien. Pour « aimer », il utilise un autre verbe, diligere. Qui veut dire : Etre attentif. La citation exacte est : « Dilige et quod vis fac ». Dilige, c’est à dire : aime, mais avec retenue. Aime sans accaparer.
C’est ainsi que je voudrais aimer. Je n’y arrive presque jamais. Lorsque par miracle c’est le cas, l’autre m’est un peu moins étranger.
Et moi, je suis un peu moins barbare.
Je vous remercie.
Lu par le Rabbin Garaï :Le Coran : Sourate La Lumière « An Nûr », versets 35, 36
Dieu est la lumière des Cieux et de la Terre, et le symbole de Sa lumière serait un foyer où se trouverait une lampe qui elle-même serait nichée dans un récipient de cristal ayant l’éclat d’un astre brillant qui tirerait sa luminosité d’un arbre béni, un olivier qui n’est ni de l’Orient ni de l’Occident et dont l’huile jetterait sa clarté d’elle-même, sans avoir été touchée par aucune étincelle, donnant ainsi lumière sur lumière.
Dieu guide vers Sa lumière qui Il veut et propose des paraboles aux gens, car Sa science n’a point de limite.
C’est cette lumière qui éclaire les temples que Dieu a permis d’élever afin que Son Nom y soit invoqué et glorifié, matin et soir.
Lu par Hafid Ouardiri :La Bible, Genèse et Psaumes
Au début de la Création de Dieu, lorsque la terre était béance et néant, l'obscurité sur la face du gouffre, alors le souffle de Dieu couvait la surface de l'eau. Dieu a dit: qu'il y ait lumière et il y eut lumière. Et Dieu vit la lumière qui était bien et Dieu a séparé entre la lumière et l'obscurité Et Dieu a appelé la lumière jour et l'ombre Il a appelé nuit, et il y eut soir et il y eut matin, jour un. (Genèse 1.2-59)
Eternel, comme au commencement, envoie ta lumière et ta vérité, elles seules me mèneront, elles me feront venir vers la montagne de ta sainteté et vers tes demeures. (Psaume 43.3)
alors
La voie des justes sera comme la lumière du matin dont l'éclat ira croissant jusqu'en plein jour. (Proverbes 4.18)
et tous
viendront devant Dieu, dans la lumière de la vie. (Psaume 56.16)