Le Parlement a définitivement adopté lundi soir, après un ultime vote du Sénat, la proposition de loi pénalisant la négation du génocide arménien, suscitant immédiatement le courroux de la Turquie.
Au terme d'un débat de plus de sept heures et alors que plusieurs centaines de manifestants étaient rassemblés pendant tout l'après-midi autour du palais du Luxembourg, les sénateurs ont adopté le texte par 127 voix contre 86. 237 sénateurs (sur 347) ont seulement pris part au vote.
Avec ce vote conforme (sans modification) du Sénat, la proposition est définitivement adoptée par le Parlement français.
Déjà adoptée par les députés le 22 décembre, la proposition prévoit un an de prison et 45.000 euros d'amende en cas de contestation ou de minimisation de façon outrancière d'un génocide reconnu par la loi française.
Deux génocides, celui des Juifs pendant la Seconde guerre mondiale et celui des Arméniens, sont reconnus, mais seule la négation du premier était pour l'instant punie.
Représentant le gouvernement, Patrick Ollier, ministre des relations avec le Parlement, a justifié la proposition de loi de la députée UMP Valérie Boyer par la nécessité pour "notre société (...) de lutter contre le poison négationniste".
"Cette proposition de loi participe d'un mouvement généralisé de répression des propos racistes et xénophobes. Elle n'est pas une loi mémorielle", a argué le ministre.
Le vote final du texte est intervenu en dépit des critiques émanant de membres éminents du gouvernement comme Alain Juppé (Affaires étrangères) et Bruno Le Maire (Agriculture).
La proposition de loi a profondément divisé les sénateurs, beaucoup plus que les députés, tous partis confondus, même si une majorité a finalement été trouvée en faveur d'un texte défendu par le président Nicolas Sarkozy et bénéficiant du soutien des deux principaux groupes, UMP et PS.
A quelques mois d'échéances électorales majeures, l'UMP et le PS ne comptaient pas se passer des voix de la communauté arménienne, la plus importante d'Europe occidentale (environ 600.000 membres). (AFP, 23 jan 2012)
Ankara dénonce un "acte irresponsable"
Le ministère turc des Affaires étrangères a "condamné fermement" le vote, dénonçant un "acte irresponsable" de la part de la France.
"La Turquie n'hésitera pas à rapidement mettre en oeuvre comme bon lui semble les mesures prévues" contre la France, souligne un communiqué, dans une référence à de nouvelles sanctions contre Paris.
Le document accuse en outre la France d'avoir "transformé en victime" les relations turco-françaises, pour des visées électoralistes.
"Il s'agit d'une initiative très malencontreuse au nom de la politique française", ajoute le communiqué.
Le Premier ministre islamo-conservateur, Recep Tayyip Erdogan, devait s'exprimer mardi, lors du discours qu'il prononce chaque semaine devant les députés de son parti.
Après un premier vote du texte, par les députés français le 22 décembre, M. Erdogan avait très vivement réagi, gelant la coopération politique et militaire avec la France, son allié de l'Otan, et dénonçant un "génocide" commis par les colonisateurs français en Algérie.
Mais, fait rarissime sur la scène politique turque, il était rejoint dans sa colère par le principal parti d'opposition.
"Les Turcs ne peuvent pas croire que le pays de Voltaire et Diderot voudrait bafouer la liberté d'expression par une loi qui les viserait, eux, d'abord. Foin d'hypocrisie, c'est une loi contre les Turcs", déclarait le chef du Parti républicain du peuple (CHP, social-démocrate), Kemal Kiliçdaroglu, dans une lettre au candidat à l'élection présidentielle française, François Hollande.
"Si le Parlement français s'obstine à voter des +lois+ antiturques et inconstitutionnelles, cela ne pourra que porter gravement atteinte, non seulement à l'image de la France, mais aussi à celle de l'Union européenne, qui sera perçue comme déloyale et hostile", ajoutait le chef de ce parti fondé par Atatürk.
Le parti d'opposition nationaliste MHP, troisième force politique du pays, avait également dénoncé le texte.
Lundi, quelques heures avant le vote des sénateurs français, le ministre turc des Affaires étrangères Ahmet Davutoglu a lui aussi fait ressortir l'indignation de son pays.
La Turquie d'aujourd'hui, a-t-il dit, "n'est plus la Turquie de 2001", lorsque le Parlement français avait reconnu le génocide arménien.
Pays émergent, membre du G20, interlocuteur incontournable au Proche-Orient avec des frontières ultra-sensibles avec la Syrie, l'Irak et l'Iran, exemple du mariage réussi de la démocratie et de l'islam pour certains pays arabes, la Turquie fait entendre "qu'on peut moins qu'avant lui donner des leçons", selon un diplomate occidental à Ankara.
Symptôme de la profonde vexation turque, le maire d'Ankara, Melih Gökçek, membre du parti majoritaire AKP, avait annoncé après le vote des députés français que la municipalité débaptiserait des rues portant des noms français.
De même, avait-il ajouté, la municipalité fera ériger, près de l'ambassade de France, un monument à la mémoire des victimes algériennes de la colonisation française. (AFP, Michel SAILHAN, 24 jan 2012)
Erevan: vote "historique" de la France sur le génocide
Le vote par le Sénat français d'une loi condamnant la négation du génocide arménien est une "initiative historique qui contribuera à prévenir d'autres crimes contre l'humanité", a déclaré mardi Edouard Nalbandian, ministre arménien des Affaires étrangères.
"Ce jour sera écrit en lettres d'or non seulement dans l'histoire de l'amitié entre les peuples arménien et français, mais également dans les annales de la protection des droits de l'Homme à travers le monde", a assuré le ministre dans un communiqué.
Ce vote "va en plus consolider les mécanismes existants de prévention des crimes contre l'humanité", poursuit le communiqué.
L'Arménie et la diaspora arménienne font campagne depuis longtemps pour obtenir une qualification internationale de génocide des massacres d'Arméniens perpétrés pendant la Première guerre mondiale malgré les dénégations de la Turquie.
Cette question a empoisonné les relations des deux pays voisins dont les frontières restent fermées et continue à passionner les Arméniens à travers le monde.
M. Nalbandian a souligné que le vote français était "la suite logique" de la reconnaissance par la France en 2001 du fait que les massacres des Arméniens constituaient un génocide.
"La France a réaffirmé son rôle pivot comme défenseur authentique des valeurs humaines universelles", affirme encore le communiqué. (AFP, 24 jan 2012)