Le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan a jeté un pavé dans la mare en s'abstenant de se prononcer sur le port du foulard islamique à l'école tout en affirmant que cette question brûlante constituera l'un des thèmes de sa campagne aux prochaines élections législatives.
"J'ai une conception très différente concernant les libertés" individuelles, a-t-il dit mercredi aux journalistes qui l'interpellaient sur des déclarations de la Première dame (voilée) de Turquie qui s'est opposée au port du foulard à l'école primaire, obligatoire pour les enfants de 6 à 13 ans.
Mme Hayrünnisa Gül porte depuis l'adolescence le "türban", qui couvre la tête et le cou, comme l'épouse de M. Erdogan, Emine, et les femmes et filles de nombre de dirigeants de son parti islamo-conservateur de la justice et du développement (AKP).
"Le voile ne peut-être porté à l'école primaire", a dit Mme Gül, s'en prenant aux parents "ignorants" de plusieurs élèves qui se sont présentées ainsi vêtues à leurs écoles ces derniers temps dans le but de défier la stricte interdiction frappant le couvre-chef islamique dans l'enseignement primaire.
Le président Abdullah Gül a aussitôt pris le parti de sa femme, défendant l'interdiction en vigueur dans une Turquie musulmane mais laïque.
Mais en refusant de dire ouvertement s'il était opposé ou au contraire partisan d'une libéralisation du port du voile à tous les échelons de l'enseignement, "M. Erdogan a vendu la mèche: il souhaite que le +türban+ soit autorisé à l'école", a commenté l'éditorialiste Mehmet Yilmaz dans le journal Hürriyet.
M. Erdogan, qui dirige la Turquie depuis 2002, a laissé entendre que le débat autour du foulard, que ce soit à l'université, à l'école ou dans la fonction publique, serait l'un des thèmes de campagne de l'AKP pour le scrutin parlementaire prévu pour juin 2011.
"Les prochaines élections législatives sont très importantes (...) Nous allons lutter avec notre peuple pour que cette question soit clairement prise en compte", a-t-il souligné, sans dire comment il espérait incorporer le sujet dans les lois.
La formation de M. Erdogan a payé cher deux ans plus tôt une loi qui visait à libéraliser le port du voile à l'université: la réforme avait été déclarée anticonstitutionnelle et l'AKP avait échappé de justesse à une dissolution pour "activités anti-laïques".
Les laïcs, dont l'armée et la haute magistrature, considèrent le foulard comme un défi à la laïcité et craignent toute mesure qui assouplirait son interdiction dans les administrations et les écoles.
Selon les sondages, une majorité de Turcs sont pourtant favorables au port du voile à l'Université.
Fort du soutien populaire à ses modifications constitutionnelles pro-libérales adoptées par référendum en septembre, l'AKP a réussi récemment à assouplir de fait le bannissement à l'université grâce à une démarche du Conseil de l'enseignement supérieur, institution qui imposait autrefois une laïcité très rigide mais qui a été depuis remaniée par l'AKP.
Pour Kemal Kiliçdaroglu, le chef du parti républicain du peuple (CHP), sensible sur l'interprétation de la laïcité, M. Erdogan va "utiliser" la question du voile dans sa campagne électorale, qui pourrait déboucher en cas d'une victoire de l'AKP - qui n'a perdu aucune élection depuis 2002 - sur "la Constitution civile" qu'il a promis pour remplacer l'actuelle, dictée par les militaires après leur putsch de 1980.
Un nouveau texte qui ouvrirait les portes au voile en Turquie. (AFP, 11 nov 2010)
http://www.info-turk.be/387.htm#discute