Le président Suisse qui a gagné le cœur des genevois, Didier Burkhalter, a reçu lundi le prix de la Fondation pour Genève qui marque l'entrée du canton dans la Confédération. Cette remise du prix distingue également l’homme d’État qui a placé la Genève internationale au cœur de la stratégie de la politique étrangère du Conseil fédéral. Par cette distinction, la Fondation pour Genève souhaite saluer l’activité du diplomate qui cherche à consolider la relation de la Suisse avec l’Union européenne, en particulier avec nos voisins, et à développer des partenariats stratégiques avec les principales puissances émergentes et les acteurs de la mondialisation dans une série de domaines-clés de la vie internationale. Il s'est engagé à renforcer la Genève internationale: "un don pour la Suisse et au service de l'humanité" pour le citer. Il a exprimé sa conviction que "Genève donne une autre couleur au monde, en faisant rayonner sur lui la lumière du droit et de la paix". Didier Burkhalter a relevé que les efforts pour renforcer Genève résultent d'un travail d'équipe entre les services de la Confédération, les Nations - Unies et les autorités genevoises, représentées à la cérémonie par le président du Conseil d'Etat François Longchamp.
Monsieur Ivan Pictet, président de la Fondation pour Genève, Monsieur Michael Møller, directeur par intérim des Nations-Unies, M. Sami Kanaan, maire de Genève et M. François Longchamp, conseiller d’État ont pris la parole pour venter les qualités d’un président qui fait l’unanimité.
Discours de M. Michael Møller
Secrétaire général adjoint des Nations Unies Directeur général de l’Office des Nations Unies à Genève
DGRemarks_FondationPourGeneva_ForCirculation.pdf
Discours de Monsieur François LONGCHAMP
Président du Conseil d'Etat
Monsieur le Président de la Confédération,
Monsieur le Directeur général a.i. de l'Organisation des Nations Unies à Genève,
Monsieur le Président du Grand Conseil, Monsieur le Maire de la Ville de Genève,
Monsieur le Président de la Fondation pour Genève, Mesdames, Messieurs,
Difficile, Monsieur le Président de la Confédération, d'ajouter une pierre à ce panégyrique. Surtout si cette pierre qu'on me demande d'ajouter ce soir au socle de la statue du Commandeur est en réalité déjà entre vos mains.
Cette pierre vient de loin. Elle est homérique. Elle est camusienne. Elle roule et n'amasse pas toujours mousse. Mais vous, inlassablement, au pied de la montagne, face aux affaires du monde et de la Suisse, vous la ramassez. Même cabossée, vous la remontez. Sans faiblir, vous la faites rouler. Au soir du 9 février 2014, dans la dignité qui sied à votre fonction et contenant vos sentiments, vous avez sobrement déclaré, en commentant le résultat du scrutin
sur l'immigration: "Ce n'est pas la fin du monde". La fin du monde, certainement pas. Mais à nouveau, l'assurance du recommencement et d'un long cheminement – ça oui. Sisyphe !
Monsieur le Président de la Confédération, Albert Camus ne vous a pas connu – tant pis pour lui – mais il a décrit la patience tenace qui vous caractérise.
"Je vois cet homme redescendre, d'un pas lourd mais égal, vers le tourment dont il ne connaîtra pas la fin".
C'est dans Le Mythe de Sisyphe. L'essai a paru en 1942 – six mois avant L'Etranger – augmenté d'un texte sur Kafka lui-même tiré de la revue… L'Arbalète. Appréciez l'enchaînement. Sisyphe, l'Etranger, Kafka, l'Arbalète... Vous qui aimez larder vos discours de paraboles – je dis larder, pas truffer, parce que le lard sec aux herbes appartient au terroir neuchâtelois – vous qui lardez volontiers vos interventions de métaphores devriez trouver, dans celle que je vous propose aujourd'hui, matière à vous reconnaître.
Monsieur le Président, je vous vois souriant – cela fait partie de votre personnalité – et je me dis toujours avec Camus que… Si "la lutte elle-même vers les sommets suffit à remplir un cœur d'homme", alors oui, vous devez être le plus heureux des hommes.
Mais ne vous trompez pas. Je ne parle pas ici de la lutte vers les sommets politiques, que vous incarnez comme Président de la Confédération suisse et – parce que cette charge échoit à notre pays
– comme président de l'Organisation de Sécurité et de Coopération en Europe. Je parle de la lutte vers les sommets de vos idéaux. C'est à dire, vers un accomplissement qui dépasse et transcende votre personne.
Nous fêterons, vendredi prochain, le Bicentenaire de l'entrée de votre canton, Neuchâtel, dans la Confédération. De la défunte Prusse, vous avez gardé quelques séquelles: celle du sens du devoir et de l'identification à l'Etat, s'en regardant comme les premiers serviteurs. A l'arrogance, à la brutalité, vous préférez la bienveillance. La politesse même, non dans ce qu'elle a de plus conventionnel, mais de plus noble: celle fde aciliter les rapports sociaux en permettant à ceux qui en usent d'avoir des échanges respectueux et équilibrés. Rien de tout cela n'est feint, car vous avez toujours été ainsi. Et je puis en témoigner personnellement, moi qui ai le privilège de vous connaître depuis trente ans, à la faveur de fonctions ou de combats communs.
Je sais que cela forge un regard sur les autres. Un regard d'ouverture
– au sens propre. Récemment un grand journal romand titrait : "Didier Burkhalter, un président qui prend le peuple au sérieux". Cela décrit une forme d'élégance. Cependant que le peuple tient de moins en moins ses édiles en estime, vous, président de la Confédération, ne lui en tenez pas rigueur. Nourrie du flegme et du sens du devoir qui sont les vôtres, cette attitude vous confère une stature parfaitement suisse. Mouvement et proximité, grandeur et humilité. Un jour, dîner protocolaire et le lendemain, schübling. Un jour, palais officiel et le jour suivant, ferme de montagne. Un jour, gyrophares à Moscou et le lendemain, ballade à Neuchâtel.
Monsieur le Président de la Confédération, cher Didier, c'est cela qui frappe : vous êtes à l'aise partout. Romand mais suisse allemand. Discret mais attentif. Placide mais agile. Réservé mais offensif.
Aujourd'hui, ministre des affaires étrangères et président du gouvernement suisse, vous veillez à cette "Suisse internationale par Genève" – vous employez souvent cette formule – qui donne à votre action un sens si particulier. Nous vous en sommes tous ici reconnaissants.
"Il faut imaginer Sisyphe heureux" concluait Camus. C'est cette abnégation, cet engagement que la Fondation pour Genève honore en vous remettant son Prix. Le Conseil d'Etat de la République et canton de Genève se réjouit de ce choix. Avec lui, la cité entière vous salue, ce soir, en ce lieu évocateur, la Salle des assemblées du Palais des Nations à Genève.
Je vous remercie.
FL_Prix de la FpG_DB.pdf
Conférence par Mesdames Nina Egger et Simone Fehr,
représentantes de la jeunesse suisse auprès des Nations Unies (Youthrep)
Monsieur le Président de la Confédération,
Mesdames et Messieurs,
Permettez-nous tout d’abord de nous présenter : Simone Fehr et Nina Egger, représentantes de la jeunesse suisse aux Nations Unies. Nous avons pour mission de sensibiliser les jeunes de notre pays à l’ONU et d’engager avec eux un dialogue sur des thèmes de portée mondiale. Nous sommes également les porte-voix de la jeunesse suisse sur la scène internationale. Si nous sommes là aujourd’hui, c’est pour vous faire part, en qualité de représentantes de la jeunesse, de notre vision de la Suisse et de la Genève internationale de demain.1
Depuis la création du Comité international de la Croix-Rouge il y a 150 ans, qui a marqué les débuts de la Genève internationale telle que nous la connaissons aujourd’hui, l’architecture politique mondiale n’a cessé de changer, et nous avec elle. Les défis n’ont pas manqué et nous avons toujours dû faire preuve de ténacité et de combativité.
Aujourd’hui encore, les nombreuses crises qui secouent le monde nous rappellent douloureusement que la paix, la sécurité et la prospérité sont loin d’aller de soi. Nombre de problèmes et de défis auxquels nous sommes confrontés revêtent un caractère transversal et universel. Ce n’est donc qu’en nous unissant que nous pourrons en reconnaître toute la complexité et trouver des solutions adéquates. L’engagement de chacun est requis !
Cela implique que nous nous interrogions une nouvelle fois sur la contribution que nous pouvons apporter, ainsi que sur le rôle qui doit revenir à la Genève internationale et, par conséquent aussi, à la Suisse.
1 Il faut encore régler la question de notre présentation par les organisateurs. Nous préférerions ne pas avoir à nous présenter, car cela entraverait la fluidité et l’impact de notre allocution.
D’un côté, Genève représente l’un des principaux piliers sur lesquels repose l’engagement de la Suisse en faveur d’un monde meilleur et plus juste. De l’autre, elle constitue un lieu où l’on s’attache à relever conjointement les défis mondiaux, à promouvoir la stabilité et à renforcer la confiance. Genève est une ville d’ouverture, de paix et de démocratie. Ce haut lieu de la coopération internationale réunit des personnes aux origines, aux religions et aux langues les plus diverses, qui s’efforcent, ensemble, de relever les grands défis de notre époque.
Genève est source de lumière
Genève, c’est bien sûr nous tous ! Genève n’existe pas indépendamment de la Suisse ; elle est notre contribution à un monde meilleur, une plateforme pour diffuser nos valeurs au-delà de nos frontières nationales et participer activement aux débats si importants de notre époque. A Genève, nous avons le privilège d’accueillir des personnes du monde entier. Par conséquent, la question de l’avenir de Genève est étroitement liée aux questions suivantes:
Qui voulons-nous être ?
et
Comment pouvons-nous contribuer à façonner le monde tel que nous le souhaitons ?
En suivant les débats sur le développement de Genève, on se rend vite compte qu’il existe deux types de politiques : une politique menée pour Genève et une politique menée à travers Genève. Ces deux politiques sont indissociables et interdépendantes, mais leur impact diffère selon l’ordre dans lequel elles sont abordées.
Privilégier la question de savoir ce qui peut se faire pour Genève ou œuvrer uniquement dans cette perspective-là ne peut être notre objectif premier. Il faut éviter que la Genève internationale devienne une fin en soi, à laquelle nous nous accrocherions pour de mauvaises raisons.
Il est bien plus important de savoir ce que nous entendons atteindre à travers Genève. Nous avons besoin d’avoir une vision claire de nos objectifs, de ce que nous voulons atteindre d’ici 20 ans. Ce n’est qu’à ce moment-là que nous saurons comment nous devons et pouvons façonner l’instrument qu’est la Genève internationale et de quels moyens nous avons besoin pour Genève.
Permettez-nous de recourir à une analogie pour illustrer cette idée :
Imaginons qu’un week-end, nous décidions de faire une excursion en Suisse. Nous commencerions par choisir une destination. Nous le faisons toujours avant de préparer notre sac à dos, car nous savons que notre équipement dépend de la destination et de l’activité choisies. Nous n’emporterons en effet pas le même matériel pour l’ascension du Säntis que pour une dégustation de vin en Valais ou une balade en bateau sur le lac de Lugano. Nous aurions donc bien du mal à faire notre sac à dos sans connaître le but de notre excursion.
Il en va de même pour le contexte qui nous intéresse ici. La question la plus importante doit être posée dès le départ : quel but la Suisse et la Genève internationale poursuivent-elles ?
Forte d’une longue tradition en matière de médiation, de recherche du dialogue et d’instauration de la confiance, la Suisse s’efforce toujours de parvenir à des solutions intégratives et participatives. Ce sont là des atouts sur lesquels nous devons continuer à bâtir et que nous nous devons de diffuser au-delà de nos frontières.
Il ne fait aucun doute qu’en définissant clairement la voie que nous entendons imprimer à notre coopération, nous influençons indirectement le contenu de tels processus. Dans ce sens, Genève devrait être un lieu qui montre la voie.
Pour ce faire, nous pouvons nous appuyer sur de précieuses expériences, puisque dans notre pays, nous sommes parvenus à franchir les barrières culturelles et linguistiques pour créer un espace de partage et de compréhension mutuelle. Nous savons que seul un dialogue sincère permet de trouver des solutions durables. Cette tradition suisse a conduit au développement de nombreux instruments politiques régionaux et nationaux susceptibles d’être transposés dans le système international, où ils pourraient être d’une grande utilité.
Il suffit par exemple de penser à notre procédure de consultation, qui a largement fait ses preuves. Tandis qu’en Suisse, de nombreux groupes d’intérêt sont appelés à se prononcer avant une prise de décision importante, cet exercice se révèle plus délicat dans le contexte de la coopération internationale. La jeunesse, en particulier, a encore de la peine à se faire entendre sur la scène internationale. Nous pouvons changer cela à travers Genève et pour Genève !
Pour favoriser des changements durables à l’échelle mondiale, il est indispensable d’associer les jeunes aux processus et débats politiques à Genève. La jeunesse n’est pas seulement l’avenir de notre planète, elle incarne aussi une chance pour le monde d’aujourd’hui : elle détient les clés de l’innovation et du progrès et peut nous fournir les solutions non conventionnelles dont nous avons urgemment besoin.
Quelques rares programmes permettent d’ores et déjà aux jeunes de participer activement aux processus décisionnels à l’échelle internationale, par exemple les programmes nationaux des délégués de la jeunesse de l’ONU, dont nous faisons partie, et le Modèle de l’OSCE. De plus, si nous débattons aujourd’hui de la création d’un mécanisme permanent pour la participation des jeunes à l’ONU, c’est grâce à la volonté et aux visions des jeunes. L’heure est clairement au changement !
Si nous reconnaissons aujourd’hui, à Genève, la valeur et le potentiel de la jeunesse, alors nous parviendrons, au cours des prochaines décennies, à développer un réseau mondial de la jeunesse, à travers lequel des impulsions pourront être données et reçues. Il faut encourager les jeunes à s’engager, à participer activement aux discussions menées à Genève, ainsi qu’à rechercher et à proposer des solutions aux problèmes existants. L’impact d’un tel échange serait double : d’une part, il enrichirait Genève de nouvelles idées créatives ; d’autre part, il relayerait la voix de Genève dans le reste de la Suisse et dans le monde entier en créant un effet multiplicateur.
Il nous semble important de souligner que Genève est non seulement un instrument de politique extérieure, mais aussi une chance de sensibiliser les jeunes de notre pays à des thèmes de portée mondiale. Il s’agit là d’un besoin urgent, car nous constatons régulièrement qu’en dépit de la petite taille de notre pays, nombre de jeunes citoyens et citoyennes de notre pays ressentent Genève et sa politique internationale comme étant très éloignées d’eux. Nous qui sommes Suisses alémaniques et prononçons notre allocution devant vous en français souhaitons jeter des ponts entre les communautés linguistiques, surmonter la « barrière de rösti » et familiariser la jeunesse suisse à la Genève internationale.
Si la Genève internationale – par extension vous-mêmes aussi, Mesdames et Messieurs – s’emploie à établir des contacts institutionnalisés et durables avec la jeunesse en Suisse, mais aussi à l’étranger, alors Genève sera en mesure de modifier durablement la coexistence internationale au XXIème siècle. Nous pourrions alors élaborer des décisions et des solutions qui auraient le mérite de gagner en légitimité, en efficacité et en durabilité. Si nous n’associons pas la jeunesse, qui se trouve au cœur de tant de thématiques-clés, nous n’arriverons pas à atteindre ce but.
Dans l’allocution qu’il a prononcée le 1er août dernier à l’occasion de la Fête nationale, le président de la Confédération a souligné que la Suisse devait rester jeune. Cela s’applique également à Genève. Il s’agit de rester en phase avec notre époque et de prendre les bonnes décisions maintenant. Notre vision est celle d’une Genève jeune aujourd’hui, dans 20 ans, dans 40 ans.
Nous sommes reconnaissantes à notre président de la Confédération de se faire le porte-parole de la jeunesse, et heureuses qu’il instaure une relation d’égal à égal avec les jeunes et qu’il leur donne l’espace nécessaire pour exprimer leurs idées.
Par ailleurs, nous souhaitons remercier vivement la Fondation pour Genève de nous avoir donné l’occasion de vous faire part de nos réflexions sur l’avenir de la Suisse et de la Genève internationale, et de passer cette magnifique soirée en votre compagnie.
Monsieur le Président de la Confédération, recevez, au nom de la jeunesse suisse, nos chaleureuses félicitations pour la distinction qui vous est remise aujourd’hui.
Nous vous remercions de votre attention.
14761_FR_Allocution_jeunes_ONU_ version finale FR.pdf
Discours du Président de la Confédération M. Didier Burkhalter,
Chef du Département fédéral des affaires étrangères
Monsieur le Directeur général,
Monsieur le Président du Conseil d’Etat,
Monsieur le Maire,
Monsieur le Président de la Fondation pour Genève,
Mesdames et Messieurs,
Chers amis de Genève, de la Suisse, du Monde,
Il y a trente ans, presque jour pour jour, je suis venu à Genève pour travailler. Avec celle qui allait devenir mon épouse, nous avions une petite chambre au centre de la ville. Nous l’avons vécu comme un point de départ – c’était en fait un cadeau de la vie ; l’un de ces…vrais cadeaux qui n’ont pas de prix
Si Genève fut un cadeau dans notre vie, cette cité est un don pour la Suisse. Cette cité est un don pour le monde.
En particulier depuis un 22 août : il y a …quelques jours et 150 ans. C’était en 1864, lorsque les délégués de douze pays signèrent la première Convention de Genève, à l’issue d’une conférence imaginée par Henry Dunant, présidée par le général Dufour et réunie par le Conseil fédéral. Ce 22 août 1864, à l’hôtel de ville de Genève, est né le droit international humanitaire. Depuis lors Genève donne une autre couleur à l’humanité en faisant rayonner sur elle la lumière de l’humanitaire : cette lumière si pure qu’elle semble éteindre les bruits, comme lorsque le soleil se met à éclairer les montagnes à l’aube...
Peut-être est-ce d’ailleurs pour cela qu’à l’occasion de ce 150e anniversaire, j’ai écrit voici quelques jours au canton du Valais et à la commune de Zermatt, pour leur proposer non pas de déplacer, mais de rebaptiser une montagne : « l’Ostpitze » située si haut, à 4632mètres, dans le Mont-Rose, non loin du sommet de la Suisse.
Quel beau symbole ce serait que de nommer le deuxième plus haut point de Suisse et de réunir ainsi au sommet de nos valeurs comme de nos montagnes, les co-fondateurs de la Croix-Rouge avec, à côté de la pointe Dufour, et à une altitude comparable, la pointe Dunant !
Quelques années après la Convention de Genève, c’est une autre naissance qui allait avoir lieu dans la même salle de l’Hôtel de Ville de Genève, le 15 septembre 1872. Avec l’arbitrage dit de « l’Alabama » deux puissances importantes, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, acceptaient de se soumettre, non pas aux juges étrangers, mais à la décision d’une Cour internationale pour régler pacifiquement un important différend. Cette décision exceptionnelle ouvrait la voie à un nouveau type de relations entre les Etats, basée sur le droit non plus sur la seule force, une évolution faite de sagesse qui permit le développement du droit international public tel que nous le connaissons aujourd’hui. Depuis lors Genève donne une autre couleur au monde, en faisant rayonner sur lui la lumière du droit et de la paix : cette autre lumière si pure qu’elle devrait éteindre les souffrances. Elle devrait…
Au fil des ans, de nombreux autres combats vinrent s’ajouter au catalogue des vertus irriguant le cœur de Genève : pour les droits de l’homme, la santé, le développement ; pour l’environnement, les conditions de travail, le commerce ; pour les communications, et bien d’autres domaines qui marquent de leur empreinte l’évolution du monde entier et la vie de chacun de nous au quotidien.
Il suffit de regarder défiler les images du passé pour voir que la Confédération suisse a vite compris le don de Genève. Elle s’est engagée fortement et de longue date pour déployer les ailes internationales de cette ville: de Giuseppe Motta et Felix Calonder – au temps de la Société des Nations – à Max Petitpierre ou Willy Spühler en passant par Friedrich Traugott Wahlen, notamment.
Des conseillers fédéraux venus des quatre régions linguistiques et de tous les partis ont compris, avec d’autres, que Genève est réellement un don, pour le monde et pour la Suisse. Un atout exceptionnel pour défendre ses intérêts et porter haut ses valeurs, aussi haut que ses plus belles montagnes.
Et ils ont saisi le sens d’une histoire à écrire à l’encre qui ne sèche jamais : si Genève est un don, c’est surtout pour les générations suivantes. Ici on construit un monde meilleur, pour demain, pour les générations en devenir. Ici, on revendique la jeunesse – et on refuse l’amertume.
Nous sommes tous les successeurs de ces pionniers. Ce soir, nous devons être reconnaissants de leur travail, de leur vision, car sans eux nous ne serions pas là.
Ils furent les « bons travailleurs qui pour les autres ensemencent », pour reprendre les paroles d’un chant de ma région, l’hymne neuchâtelois, au moment où l’on célèbre les 200 ans de l’adhésion simultanée des trois cantons de Genève, de Neuchâtel et du Valais à la Confédération.
Nos prédécesseurs ont donc créé, construit, fait croître et prospérer le rôle international de Genève, cette « lumière de Genève ». Aujourd’hui il nous appartient d’en prendre soin.
Mais il faut faire bien plus encore : nous devons anticiper, préparer l’avenir, mettre en place les conditions pour que Genève reste un don, demain aussi. Un don pour les vagues incessantes de la jeunesse.
Je suis heureux que la Fondation pour Genève ait décidé de remettre ce prix 2014, au fond, à la Confédération suisse ; une Confédération que j’ai l’honneur de représenter cette année dans la fonction présidentielle.
Mais revenons à Genève : ce prix, si je l’accepte, et si je le prends avec moi, je ne le prends pas pour moi : j’aimerais faire comme mes prédécesseurs, regarder l’avenir – les prochaines vagues qui n’ont pas encore déferlé - et dédier cette reconnaissance aux générations futures, à la jeunesse qui est dans nos cœurs.
La jeunesse, parlons-en ! Ou plutôt, laissons-la parler, comme ce soir ! Elle vient de s’exprimer, par la voix de Simone Fehr et Nina Egger Simone et Nina merci de vos propos et merci d’être là, tout simplement ; vous représentez la jeunesse suisse auprès des Nations Unies, ensemble avec Damian Vogt, aussi présent ce soir, Damian qui m’accompagnera dans quelques jours à New York, à l’occasion de l’ouverture de la 69e Assemblée générale de l’ONU.
La jeunesse est aussi partout dans cette salle ; d’abord parce que nous avons invité les missions permanentes à venir représentées ce soir également par leur plus jeune collaboratrice ou collaborateur. Merci à tous ceux qui ont joué le jeu ! Des missions d’ailleurs dont je me réjouis qu’elles soient de plus en plus nombreuses à Genève, avec l’arrivée récente des Fidji - Bienvenue ! - et celle prévue de plusieurs
autres Etats, ce qui nous rapproche d’une présence véritablement et nécessairement universelle.
La jeunesse, ensuite, c’est aussi elle qui nous a accompagnés en musique lors de cette belle soirée. Merci de partager avec nous – et pour Genève - votre don !
La jeunesse, enfin, elle est nichée dans le cœur de chacun de nous, sans se préoccuper de l’âge le moins…Cardu monde
elle est au cœur de l’action des Nations, des organisations et ONG réunies à Genève.
Mesdames et Messieurs,
Les efforts conjugués au présent pour renforcer Genève résultent d’un travail d’équipe.
Celui qui est fait au sein des services de la Confédération et plus particulièrement du Département fédéral des affaires étrangères : que tous ses collaborateurs en soient ici remerciés !
C’est aussi un travail porté par les acteurs internationaux présents ici, qui font vivre Genève et qui la développent. J’aimerais exprimer ma gratitude à notre hôte de ce soir, les Nations Unies. Je pense en particulier à votre travail, M. le Directeur général, et à celui de toute votre équipe.
Merci de nous accueillir ici, Merci de nous ouvrir ce Palais des Nations qui est avant la maison des peuples.
Quant à M. Ban Ki-moon, son message est à la fois touchant et trop élogieux. J’aimerais surtout relever qu’avec tout ce qu’il fait pour le monde, il trouve encore le temps de penser à nous. C’est typiquement lui, et l’on peut dire en effet, qu’entre lui et Genève,…honeymoonc’estue.
Enfin, le présent de Genève et la préparation de son avenir c’est aussi un travail d’ « équipe suisse » qui se base sur une relation de confiance et une forte volonté politique commune que la Confédération partage avec la Ville de Genève et la République et canton de Genève. Ainsi, la Suisse montre qu’elle sait partager le pouvoir pour en multiplier le potentiel en faveur du peuple.
Au moment où Genève remercie la Suisse de son engagement, il me vient à l’idée que nous devrions peut-être créer un « prix miroir », celui d’une « Fondation pour la Suisse » qui permettrait au pays de remercier Genève d’être ce don, cette volonté, cet atout.
Car, au fond, « l’Esprit de Genève », ce sens de responsabilité envers l’humanité, cette essence de volonté, cette science d’indépendance et d’ouverture au monde, cette conscience de solidarité avec les plus faibles et de foi dans le progrès humain, ce dense amour de la liberté et du droit ; tout cette danse de valeurs est devenu, peu à peu, « l’Esprit de la Suisse ».
Mesdames et Messieurs,
Si Genève est une orientation pour l’avenir, nous ne devons jamais perdre le passé, l’oublier. Cet été, le monde commémore beaucoup. Il devrait se souvenir autant.
Fin juillet marquait les 100 ans des débuts du Premier conflit mondial. Cette guerre a engendré des millions de morts, d’innombrables drames et atrocités. Mais elle a aussi souligné la nécessité d’établir un endroit où les nations puissent se rencontrer, des mécanismes pour se concerter et régler leurs différends pacifiquement.
Un lieu pour se parler, tout simplement mais aussi sincèrement ; car le dialogue est la base de toute compréhension de l’autre, puis de la paix, même lorsqu’elle donne l’impression de s’évanouir comme un mirage dans le désert des souffrances. Un lieu impartial au service de l’humanité. Ce lieu, c’est Genève qui, une fois encore dès 1918, a porté haut sa devise : Post Tenebras Lux. Après les ténèbres de la guerre, la lumière de la paix !
100 ans après, nous gardons la tragédie de la Première guerre mondiale en mémoire, pour la comprendre et éviter qu’elle ne se reproduise. C’est aussi là une sorte de jeunesse. J’ai donc invité cette année des élèves de toute la Suisse à travailler, à réfléchir, à exprimer leurs sentiments sur la guerre et la paix dans le monde d’aujourd’hui, à penser au rôle de la Suisse aussi. J’ai eu le plaisir énorme de rencontrer cet après-midi, ici-même, au Palais des Nations, cette jeunesse pour qui la sincérité est naturelle.
Ces élèves venus de toute la Suisse ont pu découvrir aujourd’hui le travail de l’ONU et du CICR, la valeur ajoutée de Genève. Avec les trois classes qui vont gagner le concours, nous ferons un vrai travail de mémoire : nous nous rendrons cet automne à Ypres, une ville qui n’est plus comme une autre parce qu’elle est devenue soudainement un champ de bataille, une cité-martyre, un témoin séculaire dans une Belgique qui était neutre...
Pour nous souvenir, pour ne pas oublier, il faut aussi transmettre : la Suisse a décidé, aujourd’hui, d’émettre un signe fort, durable et concret à l’occasion de cette période de commémoration. Elle entend ériger, à Genève, un monument consacré au thème « du droit des victimes, et des devoirs des Etats ». Ce monument interactif sera offert aux Nations Unies. Il devrait trouver sa place ici même, au Palais des Nations, dans ce lieu qui appartient aux populations du monde, dans cette maison qui doit redonner l’espoir à ceux qui ont souffert.
C’est en Europe qu’ont démarré les deux conflits mondiaux. C’est ce Palais qu’on a érigé dans l’Entre-deux-guerres pour promouvoir la paix. Genève est un lieu juste pour ce travail de mémoire.
Cette œuvre se distinguera par son caractère universel : elle sera une marque de reconnaissance des souffrances de toutes les victimes des conflits, des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité et des génocides. Elle se veut aussi un message vers l’avenir, d’engagement de la Communauté internationale pour éviter une répétition de ces atrocités. Elle sera enfin un rappel des acquis du XXe siècle en matière de responsabilité des Etats et de devoir de protéger.
Cette œuvre de mémoire sera réalisée suite à un concours de projets qui sera lancé ces prochains mois.
Mesdames et Messieurs,
Les efforts déployés dans cette ville et dans cette maison de paix n’ont pas suffi à éviter que les ténèbres réapparaissent, il y a 75 ans, avec le second conflit mondial et son cortège d’atrocités et de victimes par dizaines de millions.
A la suite de ce nouveau cataclysme, il fallait que la lumière de Genève retrouve sa force et son flamboiement. Au cours de la seconde moitié du XXe siècle, Genève est devenu le premier centre de gouvernance mondiale. Les récentes discussions sur le nucléaire iranien ou sur les crises syrienne ou ukrainienne le soulignent ; elles montrent aussi que ces efforts ne sont pas suffisants, que la paix se gagne seulement à la force du cœur et seulement si ce cœur, ce courage et cette volonté sont incessants.
Genève s’est développée. Elle a atteint une notoriété si forte que le monde est convaincu qu’elle est la capitale de la Suisse. Ce qui, d’ailleurs, ne dérange pas vraiment à Berne, au bord de l’Aar. C’est là, l’art de…la Suisse
En revanche, ici à Genève, il y a parfois des interrogations surprenantes. Par exemple, peut-on vouloir se battre pour Genève en n’étant pas Genevois ? La réponse est simple : c’est toute la Suisse, d’où qu’on vienne, qui peut ressentir l’importance du rôle de Genève, pour tout le pays et pour le monde.
Le prix de ce soir en est la preuve : même un Neuchâtelois peut le recevoir ; même un Neuchâtelois, né au bord d’un lac qu’il estime être le plus beau de Suisse, peut ressentir et vivre pleinement la beauté profonde de la cité du bout du Léman.
Mesdames et Messieurs,
Pour que Genève reste demain le don qu’elle est aujourd’hui pour le monde, la Suisse, le canton de Genève et la Ville de Genève ont décidé l’an dernier de conjuguer leurs efforts.
Nous disposons enfin d’une stratégie commune. Pour améliorer les conditions matérielles de la présence internationale à Genève, à commencer par la rénovation de cet héritage universel des peuples, le Palais des Nations. Et pour renforcer les talents et les idées de Genève et à Genève.
Le Conseil fédéral enverra cet automne ses propositions au Parlement suisse, son « message » comme l’on dit. Et ce message devra être clair : Genève doit devenir un aimant et une source. L’aimant qui attire les personnes et les entreprises communes afin de les mettre au service des défis de notre monde ; et la source des gestes et des idées que notre pays peut ensuite mettre au service de l’humanité.
Le Conseil fédéral proposera au Parlement de se doter des moyens, techniques, financiers, matériels et intellectuels pour que le site international de Genève garde en son cœur une qualité d’avance. Sa concentration unique d’acteurs doit nous pousser à favoriser d’avantage les synergies. Car les défis de notre temps seront résolus par des réponses globales et multidisciplinaires. Ou mieux qu’à Genève peut-on envisager la mise en réseau d’autant de compétences essentielles?
La stratégie commune de la ville, du canton et de la Confédération c’est d’agir pour rénover les bâtiments, faciliter les processus et les implantations, renforcer la qualité du contenu par des échanges et des mises en réseau et stimuler l’offre intellectuelle que Genève met à disposition du monde.
Mesdames et Messieurs,
Avec un savant mélange d’ambition et de modestie, la Suisse internationale par Genève est dépositaire de fragments utiles pour l’avenir de notre monde. Dépositaire – comme le gouvernement suisse l’est pour les conventions de Genève ; nous ne décidons pas seul, c’est plus difficile : nous consultons, facilitons, nous tentons de convaincre.
C’est ce que nous voudrions tant en ce moment au sujet d’une réunion des Hautes-Parties Contractantes à la quatrième Convention de Genève pour renforcer le respect du droit international humanitaire.
Les tâches du monde sont encore bien lourdes et sans fin. Mais Genève est véritablement dépositaire de fragments utiles pour l’avenir du monde à construire ensemble. Pour lutter contre les ravages de la pauvreté, pour contrer de terribles épidémies ; pour plus de justice à l’égard des peuples ; pour faire triompher la paix.
Discours DBurkhalter Prix 2014.pdf
DISCOURS DE MONSIEUR IVAN PICTET
Discours final IP version site internet.pdf
Pour suivre les photos:
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