Discours de Micheline Calmy-Rey – Cérémonie de remise du Prix Martin Ennals, 2 octobre 2012
Che(è)r(e)s Nominé(e)s,
Mesdames et Messieurs,
C’est pour moi un grand plaisir de vous accueillir ici aujourd’hui en tant que Présidente de la Fondation Martin Ennals. Pour cette 19e édition du Prix Martin Ennals, nous avons sélectionné trois nominé(e)s qui méritent reconnaissance et protection pour le travail qu’ils accomplissent au quotidien. Le combat de chacun(e) d’entre eux(elles) illustre la diversité des problématiques relatives à la défense des droits humains.
Vous pourrez apprendre à les connaître davantage à travers trois films-portraits qui retracent leurs parcours respectifs avant de les entendre ou d’écouter les discours de leurs représentant(e)s.
Nous leur avons demandé de s’exprimer dans leur langue afin qu’ils puissent être compris dans leur propre pays.
Je voudrais accueillir Madame Mahnaz Parakand, représentante de Nasrin Sotoudeh qui est actuellement détenue en Iran, Said Youssif qui représente le Centre Bahreïni pour les droits de l’homme ainsi que le Vénérable Sovath Luon du Cambodge. Même si nous n’allons décerner qu’un seul prix ce soir, nous souhaitons profiter de cette opportunité pour accroître la visibilité qu'il peut apporter à tous les nominé(e)s.
Les Nominé(e)s et le(a) Lauréat(e) du Prix ont été sélectionné(e)s par dix des plus grandes organisations de défense des droits humains:
1. Amnesty International
2. Front Line Defenders
3. Diakonie Allemagne
4. Human Rights First
5. Human Rights Watch
6. Huridocs
7. la Commission internationale des Juristes
8. la Fédération internationale des ligues des droits de l'homme (FIDH)
9. le Service international pour les droits de l’homme et
10. l’Organisation mondiale contre la torture.
Leur participation est à mon sens la preuve que ce Prix est réellement l’expression de la Communauté internationale des droits humains. Les membres du jury confèrent au Prix Martin Ennals une crédibilité unique. Martin Ennals était lui-même un pionnier qui a œuvré pour que la question des droits humains figure sur l’agenda de la communauté internationale. Il a fondé ou influencé nombre d’organisations de défense des droits humains dont certaines sont aujourd’hui représentées dans le Jury.
Mesdames et Messieurs,
Les nominé(e)s sont reconnu(e)s pour le courage dont ils font preuve dans leur combat pour le respect des droits humains et je tiens à vous parler ce soir du lourd tribut qu’ils ont payé sur le plan personnel à cause de ce combat.
Le Vénérable Sovath Luon a commencé à défendre les victimes des évictions forcées après avoir été témoin de l’expulsion d’habitants de son propre village qui ont été physiquement contraints de quitter leurs terres et leurs maisons. Sa hiérarchie a menacé de le défroquer et lui a interdit de séjourner dans toutes les pagodes du Cambodge, ce qui constitue pourtant une obligation religieuse pour les moines bouddhistes à cette période de l’année. Ces formes de persécutions menacent l’essence même de son identité.
Les fondateurs du Centre Bahreïni pour les droits de l’homme sont actuellement détenus. Abdulhadi Al-Khawaja, le premier président du Centre a été condamné à la prison à perpétuité et sa fille Zainab est aussi détenue. Nabeel Rajab, le Président actuel, dont le portrait se trouve sur l’affiche que vous avez tous vue, a été récemment condamné à 3 ans de prison pour avoir manifesté contre le gouvernement. C’est la raison pour laquelle ils ne peuvent pas être parmi nous aujourd’hui. C’est donc Said Youssif, représentant local du Centre bahreïni pour les droits de l’homme, qui est présent avec nous ce soir. Il a lui-même fait l’objet de menaces et a été physiquement agressé au cours de ces derniers mois.
Madame Nasrine Sotoudeh, avocate iranienne, est aujourd’hui représentée par Madame Parakand. Si Madame Sotoudeh ne peut pas être présente parmi nous, c’est parce qu’elle purge actuellement une peine de six ans d’emprisonnement pour ses activités de défenseuse des droits humains. Son plus jeune fils était âgé de trois ans lorsqu’elle a été arrêtée. Il aura neuf ans à la date prévue de sa libération. L’année dernière, son mari et sa fille aînée ont été interdits de voyager. C’est sans doute la première interdiction de voyager qui concerne quelqu’un d’aussi jeune.
Je vous propose de nous arrêter un moment pour penser à ces défenseurs(ses) des droits humains et à tout ce à quoi ils doivent faire face dans leur combat.
Mesdames et Messieurs,
je voudrais exprimer ma profonde gratitude envers notre partenaire, la Ville de Genève, qui apporte un soutien financier aux Nominé(e)s, nous accueille au Victoria Hall et contribue au combat pour le respect des droits humains par bien d’autres moyens. Genève est la Capitale mondiale des droits humains. C’est ici que sont basés le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, de nombreuses organisations non gouvernementales de défense des droits humains, le Comité international de la Croix Rouge ainsi que le Haut Commissariat aux droits de l’homme. Je voudrais remercier Madame Kang, Haut-Commissaire Adjointe d’avoir accepté d’être parmi nous ce soir pour remettre le Prix au (à la) lauréat(e) ce soir.
Sur un plan plus personnel, je dois dire que les droits humains ont toujours été importants pour moi. Lorsque j’étais Ministre des Affaires étrangères, j’ai mis tout en œuvre pour qu’ils figurent parmi les priorités sur notre agenda, dans la continuité de la tradition humanitaire de la Suisse. J’ai également supervisé les contributions du gouvernement suisse à la Fondation. C’est donc à présent avec plaisir que je remercie mon propre gouvernement ainsi que tous ceux qui ont apporté leur soutien à la Fondation au cours des dernières années: les gouvernements de Finlande, d’Allemagne, d’Irlande, des Pays-Bas, de Norvège et d’Espagne, ainsi que Brot fuer die Welt en Allemagne, et la Fondation Human Rights House en Norvège.
C’est réellement un plaisir de vous voir tous réunis ici ce soir.
Je vous remercie d’être venus et de pouvoir vous compter parmi ceux et celles qui soutiennent les défenseurs(ses) des droits humains.
Discours par Madame Kyung-wha KangHaut-Commissaire adjointe des Nations Unies aux droits de l’homme
Cérémonie de remise du Prix 2012 Martin Ennals
pour les défenseurs des droits humains
Madame la Conseillère administrative,
Excellences,
Collègues défenseurs des droits humains,
Je suis très heureuse d'être avec vous ce soir pour remettre le Prix Martin Ennals 2012 pour les défenseurs des droits humains. Ce prix prestigieux reconnaît le travail exceptionnel des femmes et des hommes qui s'efforcent chaque jour, souvent à leurs risques et périls, de défendre les droits humains et les libertés fondamentales.
Comme vous l'avez vu dans les documentaires présentés, cette année trois défenseurs exceptionnels ont été mis en nomination pour recevoir le prix.
Je regrette profondément que la première d’entre eux, Mme Nasrin Sotoudeh, une femme iranienne, avocate et éminente militante des droits de l'homme, ne peut pas être avec nous aujourd'hui. Malheureusement, elle ne peut pas continuer son important travail sur les droits humains, parce qu'elle purge la fin d'une condamnation de 6 ans dans la célèbre prison d'Evin, à Téhéran, et a été bannie de sa profession pendant 10 ans sur des accusations d’ « agissements contre la sécurité nationale », de « ne pas porter le hijab (robe islamique) au cours d'un message vidéo » et de faire « la propagande contre le système ». Mme Sotoudeh est connue pour avoir défendu des cas médiatisés d’abus de droits humains, ainsi que pour son appartenance au Centre des défenseurs des droits de l'homme fondé par le prix Nobel de la paix Shirin Ebadi. Mais comme beaucoup d'autres avocats activistes en Iran, frustrés par le manque d'indépendance du pouvoir judiciaire, elle avait également rendu son cas public pour le défendre. Depuis son arrestation, son mari et même sa fille de 12 ans ont également été soumis à des restrictions et des interdictions de voyager. La Haut-Commissaire aux droits de l'homme a fait pression pour la libération de Nasrin à plusieurs reprises avec les autorités iraniennes, à la fois publiquement et en privé, ainsi que les procédures spéciales du Conseil des droits de l'homme - et son cas a été soulevé par l'ONU au plus haut niveau. Nous ne pouvons qu'espérer que la reconnaissance internationale et l'appui renforceront la cause de sa libération.
Le deuxième candidat est le Vénérable Luon Sovath, qui a utilisé sa voix comme moine bouddhiste pour lutter contre ce qu'il considérait comme une injustice dans son pays natal. Son activisme découle d'un litige foncier dans son village natal de Chi Kreng, qui a éclaté dans la violence avec comme résultat que certains villageois y compris des membres de sa famille ont été blessés par balles. Le Bureau du Haut-Commissariat au Cambodge a suivi de près la situation et a plaidé auprès des autorités pour une solution à son cas. En parlant au nom des pauvres, en particulier dans les zones rurales, qui sont actuellement confrontés à des expulsions et à l’accaparement des terres, le Vénérable a pris de grands risques. Notre Bureau lui a fourni une protection à plusieurs occasions: en intervenant auprès des autorités, à la fois religieuses et civiles – lorsque ses libertés de mouvement et d'expression ont été réduites. Aujourd'hui, nous célébrons aussi la sagesse et la détermination sans faille du Vénérable, qui sont une source de courage pour beaucoup au Cambodge, et nous espérons qu'il continuera à inspirer les autres à travers son plaidoyer et son activisme.
Enfin, le Centre bahreïni pour les droits de l'homme continue son travail impressionnant et courageux dans des circonstances particulièrement difficiles dans le Royaume de Bahreïn. Le Directeur du Centre, M. Nabeel Rajab, ne peut pas être ici aujourd'hui parce qu'il est en prison, subissant les terribles conséquences de la criminalisation de ses activités relatives aux droits humains. Nabeel Rajab a commencé à s'impliquer dans les droits humains lors du soulèvement de 1990 et par la suite a commencé à faire campagne contre les violations des droits civils et autres droits humains à Bahreïn. Suite à des affrontements avec les autorités, sa maison a été attaquée et il a été arrêté à plusieurs reprises. Le 9 juillet, il a été arrêté et condamné à trois mois de prison pour avoir "insulté" les Bahreïnis dans un message sur le réseau Twitter. Le 16 août, alors qu’il était toujours en détention, M. Rajab a été condamné à trois ans d'emprisonnement sur trois accusation liées à des manifestations. Le Haut-Commissariat s'engage et travaille en étroite collaboration avec le Centre bahreïni pour les droits de l'homme et s’appuie sur son travail et ses renseignements pour un certain nombre de rapports. Les cas de membres du Centre ont également été pris en compte dans le récent rapport du Secrétaire général sur les représailles contre les personnes qui collaborent avec les mécanismes des droits de l’homme des Nations Unies. Le 6 Septembre, la Haut-Commissaire a appelé à sa libération - dans un communiqué de presse - tout en critiquant les peines sévères contre les défenseurs des droits de l'homme à Bahreïn.
Mme Nasrin Sotoudeh, Vénérable Sovath Luon et le personnel du Centre bahreïni pour les droits de l'homme, je voudrais profiter de cette occasion pour vous féliciter tous pour votre travail exemplaire pour la défense de la dignité humaine et nous vous envoyons un message chaleureux d'admiration et d'encouragement . Le monde est un meilleur endroit avec des gens comme vous.
Maintenant, je suis heureuse de remettre le Prix Martin Ennals 2012 au Vénérable Sovath Luon. Félicitations.
Et j’ai également le plaisir de donner le certificat de finaliste aux deux autres candidats, Mme Nasrin Sotoudeh et le Centre bahreïni pour les droits de l'homme.
Félicitations.
Allocution de Madame Sandrine Salerno
Conseillère administrative
Madame la Haut-Commissaire adjointe aux droits de l’homme,
Madame la Présidente de la Fondation Martin Ennals,
Madame Mahnaz Parakand,
Monsieur Said Yousif AlMuhafdhah,
Monsieur le Vénérable Loun Sovath,
Mesdames et Messieurs,
C’est avec une émotion toute particulière que je prends la parole devant vous ce soir. Plus que jamais, les trois nominés au Prix Martin Ennals 2012 nous rappellent en effet que les droits humains sont fragiles. Plus que jamais, ils nous rappellent que dans de trop nombreux pays, des hommes et des femmes d’exception risquent leur liberté et leur vie, pour défendre des droits humains pourtant inaliénables, et se dresser devant celles et ceux qui n’ont de cesse de les violer. Plus que jamais, les trois nominés nous rappellent aussi que, 64 ans après l’adoption de la Déclaration universelle des droits de l’Homme, rien n’est acquis. Et qu’il s’agit de se battre, encore, avec la même conviction et la même force, pour qu’enfin dans le monde chaque être humain puisse être libre de s’exprimer, de penser, d’être, quelles que soient ses opinions politiques, son identité sexuelle ou sa religion.
Mesdames, Messieurs,
Avant toute chose, je tiens à saluer le courage, l’abnégation et l’humanisme des trois nominés au Prix Martin Ennals 2012. En vous engageant au péril de votre vie pour un monde plus juste, vous nous offrez une belle leçon d’humanité et un extraordinaire message d’espoir. Vous êtes de véritables héros et je suis heureuse de pouvoir vous rendre hommage ce soir.
Mesdames, Messieurs,
Vous le savez : la Ville de Genève est profondément attachée à la défense des droits fondamentaux. Hôte des principales organisations internationales actives dans le domaine, siège du Conseil des droits de l’Homme comme du Haut-Commissariat aux droits de l’Homme, la Ville de Genève a également fait de la promotion des droits humains l’une des priorités de sa politique de coopération internationale. Cet engagement actif, qui a d’ailleurs été formalisé dans un règlement municipal sur la solidarité internationale adopté cette année, se traduit concrètement par un soutien croissant à des projets dans le domaine des droits humains et à l’octroi de financements toujours plus importants. Signe de ce soutien grandissant, à fin juillet, l’engagement financier de la Ville pour des projets en faveur des droits humains était déjà largement supérieur au total des montants accordés sur l’ensemble de l’année 2011. Un effort conséquent donc, qui atteindra cette année plus de 20% du budget de la coopération municipale, soit plus d’un million de francs.
L’engagement de ma Ville en faveur des droits humains est un engagement global. Il postule de l’universalité des droits humains, de leur interdépendance et de leur caractère indivisible. Les projets soutenus par la Ville ne concernent donc pas uniquement les droits civils et politiques. Ils concernent également les droits sociaux, économiques et culturels, l’accès pour les représentant-e-s de la société civile à des conférences à Genève, le renforcement des liens entre les ONG de défense des droits humains et les mouvements sociaux ainsi que le soutien aux défenseurs des droits humains partout dans le monde.
C’est dans cette logique justement que la Ville de Genève co-organise, depuis 2008, la cérémonie de remise du Prix Martin Ennals. Les différents témoignages entendus ce soir nous rappellent d’ailleurs l’importance de cet équivalent du Prix Nobel des Droits de l’Homme, qui permet non seulement de rendre hommage au combat des nominé-e-s mais aussi et surtout d’attirer la lumière sur eux et de leur offrir ainsi une véritable protection médiatique, dont on connaît l’efficacité.
A ce titre, je souhaite remercier chaleureusement chacune des organisations qui a contribué à créer ce Prix et grâce auxquelles il se perpétue. Votre engagement, votre volonté aussi, doivent véritablement être salués. C’est grâce à vous, grâce à vos militantes et militants, que le monde change.
Merci aussi aux membres du jury, qui assument la délicate tâche de faire un choix parmi les nombreux défenseurs des droits humains.
Merci également à Madame Nasrin Sotoudeh, aux membres du Centre bahreïni pour les droits humains ainsi qu’au Vénérable Loun Sovath que je félicite vivement pour son prix. Votre courage exemplaire, votre humanisme, votre engagement sans faille forcent l’admiration et constituent un véritable message d’espoir. A travers vous, nous pensons également ce soir à tous les militantes et militants des droits de l’Homme traqués, menacés, blessés, arrêtés ou emprisonnés dans le monde. A travers vous, c’est à toutes ces héroïnes et à tous ces héros de l’ombre que nous rendons hommage ce soir.
Finalement, merci à vous toutes et tous pour votre présence ce soir : la plus belle façon de réaffirmer notre attachement au respect des droits humains et de saluer le travail de celles et ceux qui s’engagent pour leur respect, à travers le monde.
Je vous remercie pour votre attention.
Maison Populaire de Genève
www.assmp.org